Tarantino est un cinéaste cinéphile, mais c'est aussi et surtout un grand enfant. Et comme un enfant qui joue avec ses jouets, il réinvente des histoires en utilisant des figures avec lesquelles il a grandi. Il est passé de cet enfant qui recycle ses histoires préférées au cinéaste cinéphile qui s'inspire des films qu'il a vu pour en extraire le meilleur, comme le pire. C'est un procédé qui ne plait pas à tout le monde, mais il serait difficile de lui en vouloir tant il les assume pleinement. On lui fait souvent ce procès d'intention et il en a fait sa marque de fabrique.

J'adore profondément son cinéma, il est très communicatif et ça me parle beaucoup. Avec Once Upon a Time in Hollywood, il nous livre un film extrêmement dense, varié et révélateur sur de nombreux points. Il passe au crible les différents échelons du cinéma hollywoodien, tous les rouages de la production américaine sont criblés et incarnés en trois étapes distinctes. Margot Robbie incarne Sharon Tate, grande star de l'époque et profitant de sa vie dorée. Notre duo magique, DiCaprio incarnant Rick Dalton, acteur peu considéré, marqué par les coups de l'industrie et en perte de vitesse. Et Brad Pitt qui incarne Cliff Booth, éternel optimiste et cascadeur quasi-condamné, sans doute le plus sympathique de tous. Ces deux-là galèrent à trouver des contrats, victimes d'un Hollywood en pleine mutation. Ils sont le reflet de ces anonymes du cinéma qui galèrent beaucoup plus que les autres, ces régisseurs de séries Z qui traînent les pattes pour quelques ronds, ceux qu'on pourrait considérer comme les sacrifiés d'un showbiz qui ne leur laisse aucune chance.

Contrairement à ce que les trailers laissaient présager et cette coolitude qui semblait déborder du film, on tient pourtant ici l'une des oeuvres les plus tristement contées de Tarantino. C'est une comédie noire et dépressive, où l'univers magique du cinéma se découvre être un endroit désenchanté et rudement difficile pour nos acteurs. DiCaprio, Brad Pitt ou Al Pacino, pour ne citer que ces trois là, ont pris un réel plaisir à se glisser dans la peau de leurs personnages, on sent clairement qu'ils se sont éclatés à le faire et leurs personnages en deviennent par conséquent attachants. C'est une déclaration d'amour à toute la panoplie de décors que peut nous donner Hollywood, passant du Far west aux télés crochets, aux films de bastons avec Bruce Lee, etc. Quentin Tarantino aime son métier et c'est sans doute aussi un message de prévention qu'il y a à travers cette histoire aux personnages mutilés, humiliés, qui noient leur tristesse dans un verre de whisky ou atténuent leur désir de violence en regardant une série policière le soir sur NBC. Derrière sa mise en scène en artifices et en démonstration perpétuelle se cache donc un rêve de gosse, celui d'un réalisateur qui veut concilier l'art et la manière.

Tout le long de sa filmographie, l'homme a construit ce qu'on pourrait appeler un "Tarantino Universe". Il multiplie les auto-références, énormément de clins d'oeil sont faits à ses précédents films. N'y voyez aucune paresse de sa part, bien au contraire cela est loin d'être un exercice facile et il est même délicat d'incruster des éléments déjà "connus" à une nouvelle structure scénaristique. Pourquoi ? Aux yeux de certains spectateurs, reprendre les idées d'un autre film peut sembler "usant" ou être le signe d'un manque d'imagination, pourtant Tarantino parvient à détourner lui-même ses créations et à les connecter entre elles. Jackie Brown, Inglourious Basters, Reservoir Dogs... on ne va pas tout citer, mais nombreux de ses films sont référencés, les fans seront les premiers ravis mais cela est davantage une volonté du réalisateur de mettre un "point final" si je puis dire à sa longue odyssée cinématographique... elle ne se terminera sans doute pas avec ce film mais elle en emprunte le chemin.

On attend de Tarantino qu'il soit révolutionnaire, à chacun de ses films. Once Upon a Time... ne l'est pas. Pour le grand public c'est un film bien moins accessible qu'un Django par exemple et ce n'est pas aussi marquant qu'un Pulp Fiction, notamment dans sa manière de nous amener jusqu'à sa chute finale. A contrario, c'est pour moi le Tarantino le plus profond et surtout le plus personnel. Toujours aussi drôle, provoquant, ironique et offrant des moments jubilatoires, toutefois il ne faut pas s'attendre à quelque chose d'aussi jouissif que Kill Bill où la violence est gratuite et assouvit les pulsions des spectateurs. La durée du film est assez conséquente, de ce fait il y a quelques ventres mous, des retombées dans le rythme du film mais rien qui puisse ternir l'expérience globale, pour ma part. La multitude de thèmes abordés par Tarantino forment un ensemble cohérent, je craignais que le film se perde dans toutes ses idées mais ce n'est pas le cas grâce à sa science du détail, c'est tarantinesque et c'est ce que j'aime le plus chez lui.

Pour conclure, Once Upon a Time in Hollywood n'est peut-être pas le film que vous imaginiez, mais grand bien lui fasse. Personnellement je m'attendais à une histoire plus resserrée sur la secte de Charles Manson et sur la détresse de Sharon Tate, c'est bien plus que ça. C'est une oeuvre qui prend son temps, mélancolique, nostalgique et émouvante. Du Tarantino Universe, réunissant une panoplie de personnages et de scènes essentiellement nostalgiques. Prônant l'âge d'or de Hollywood à travers les yeux d'enfant du réalisateur, il y a une certaine maîtrise de sa part qui n'est plus à remettre en doute mais qui n'a pas pour prétention de convaincre le plus de monde possible, Tarantino se fait d'abord plaisir à lui-même. C'est un film qui pourrait décevoir au premier visionnage mais qu'on veut revoir en connaissance de cause et pour ce qu'il est véritablement. DiCaprio et Brad Pitt forment un duo très efficace à travers ce buddy movie et réalisent certainement l'un de leurs meilleurs rôles, ils sont à la hauteur de l'ambition démesurée de Tarantino.

Eren
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le 22 oct. 2022

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