Eux
À l’approche d’une élection présidentielle dans laquelle politiques et journalistes s’écharpent sur la notion d'identité, le dernier film d’Alice Diop, Nous, est l’occasion d’afficher un semblant...
Par
le 5 mars 2022
3 j'aime
Inspirée par la démarche de François Maspero et Anaïk Frantz, dans leur livre conjoint - lui au texte, elle à l’image -, « Les Passagers du Roissy-Express » (1990), la documentariste Alice Diop entreprend de suivre le cours du RER B, portée par les rencontres qui s’offriront à la caméra.
De cette mosaïque humaine arrachée à l’anonymat de vies aussi modestes qu’obscures naîtra le « nous » du titre. Un « nous » qui reste ouvert et qui, du nord au sud de cette ligne transilienne, pourra s’offrir un détour par la figure médiatique de Pierre Bergounioux, rejoint dans sa maison de Gif-sur-Yvette.
Affirmant d’entrée de jeu le caractère cinématographique de son œuvre - et non plus littéraire, comme pour F. Maspero -, Alice Diop ouvre cette huitième réalisation en traquant un duo de traqueurs silencieux, Marcel et Ethan Balnoas, deux générations que, de la Vallée de Chevreuse à la Forêt de Fontainebleau, on observera d’abord à l’affût, guettant le gibier, puis prenant part à une vaste chasse à courre très protocolaire, à laquelle sera confiée, au montage, la mission de refermer le long-métrage.
Entre ces deux scènes, la réalisatrice aura suivi les pas d’un mécanicien immigré clandestin, Ismael Soumaïla Sissoko, de sa propre sœur, N’deye Sighane Diop, escortée dans les soins à domicile qu’elle prodigue aux personnes âgées, et sera revenue sur son propre parcours, sur celui de ses parents, eux-mêmes immigrés consumés par une vie de labeur, sur son enfance à la périphérie de la capitale et sur son intégration réussie, avec les renoncements que celle-ci peut comporter.
Alice Diop, secondée à l’image par Sarah Blum, Sylvain Verdet et Clément Alline, prend le temps d’accompagner ceux sur lesquels son regard se pose. Ce congé donné à la précipitation pourrait évoquer la démarche de Wang Bing, même si Alice Diop n’atteint pas à l’intensité saturée de sens qui caractérise l’œuvre de l’immense documentariste chinois. Toutefois, au contact d’Ismael, et grâce au renoncement à traduire la superficialité sans doute très anecdotique d’une conversation téléphonique, la réalisatrice place son spectateur-auditeur dans le contact nu avec la musicalité d’une langue autre, dans la contemplation pure de ses phonèmes, de son rythme, de ses chocs consonantiques et de ses nouages vocaliques.
À travers les multiples figures âgées, côtoyées, questionnées par sa sœur soignante, la réalisatrice permet de prendre la mesure du caractère immense de toute vie humaine, si humble soit-elle, de son caractère bien souvent romanesque, quoique si rarement éclairé par les feux du récit. D’où la pertinence de l’échange avec l’écrivain Pierre Bergounioux qui, songeant à sa Corrèze natale, évoquera lui aussi ces « petites vies » que son interlocutrice se réjouit d’ « arracher à l’ombre ».
Une entreprise aussi touchante que précieuse, surtout au sein d’un pays qui tend si douloureusement à se diviser. Puissent les « nous » se faire rassembleurs, inclusifs, et non plus exclusifs et meurtriers !
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement.
Créée
le 11 avr. 2021
Critique lue 981 fois
20 j'aime
D'autres avis sur Nous
À l’approche d’une élection présidentielle dans laquelle politiques et journalistes s’écharpent sur la notion d'identité, le dernier film d’Alice Diop, Nous, est l’occasion d’afficher un semblant...
Par
le 5 mars 2022
3 j'aime
Le RER B va du nord au sud de la région parisienne. L'occasion pour Alice, documentariste de l'invisible, de descendre la ligne et de s'arrêter au gré de ses rencontres. Elle va rencontrer toutes les...
Par
le 3 déc. 2021
3 j'aime
2
En s’inspirant du livre "Les Passagers du Roissy-Express" de François Maspero, la réalisatrice Alice Diop met en lumière le multiculturalisme qui caractérise la Seine-Saint-Denis en observant les...
Par
le 24 nov. 2021
3 j'aime
Du même critique
Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...
le 17 août 2017
77 j'aime
33
Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...
le 14 nov. 2019
73 j'aime
21
Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...
le 26 août 2019
71 j'aime
3