Pour son dernier film, Nos Patriotes, Gabriel Le Bomin nous replonge dans les prémices de la Résistance et le rôle d’un tirailleur sénégalais.


Les sujets qu’aborde le réalisateur Gabriel Le Bomin (Les fragments d’Antonin) dans NOS PATRIOTES sont intéressants à plus d’un titre. D’abord parce que la Résistance est ici abordée sous l’angle de ses prémices et de son « bricolage héroïque », comme l’évoquait le réalisateur, venu présenter son film à Bordeaux. Son but, mettre en évidence la complexité et les contradictions de la Résistance. Ensuite, parce que NOS PATRIOTES fait découvrir au spectateur un pan méconnu de l’Histoire : le parcours des tirailleurs sénégalais, faits prisonniers lors de la débâcle de juin 1940, et parqués dans des Front Stalag, camps en zone occupée. Et plus particulièrement, le sort d’Addi Bâ, tirailleur résistant fusillé en 1943, dont le parcours atypique est raconté dans le roman Le terroriste noir de Tierno Monenembo. Même si la fiction ne correspond pas complètement à la vie d’Addi Bâ, le réalisateur s’est attaché à en respecter le contexte historique et psychologique, permettant au spectateur de mieux saisir la haine idéologique raciste qu’éprouvaient les soldats allemands, encore sous le choc de leur défaite en 1918, face à ces 180 000 soldats que la France avait mobilisés dans son empire colonial.


La première scène de NOS PATRIOTES est d’autant plus saisissante qu’elle montre, dans le cadre de la propagande allemande, les tirailleurs sénégalais se faire massacrer pendant une reconstitution filmée de combats. Gabriel Le Bomin promène sa caméra de manière assez sensuelle, au plus près du corps de Marc Zinga (Bienvenue à Marly-Gomont), comme pour permettre aux personnes qui rencontrent Addi, d’aller au-delà de la représentation de l’homme noir, et de découvrir l’être humain et le héros. Un héros tout en rage contenue forçant l’empathie, que le réalisateur a la bonne idée de ne pas présenter comme parfait – il commet en effet de nombreuses erreurs de jugement, dangereuses pour ses compagnons.


Bien que le réalisateur se défende d’avoir voulu faire des personnages aux personnalités monolithiques, ses anges gardiens restent assez caricaturaux. Comme Christine (Alexandra Lamy, dans un rôle bien différent que ceux qu’elle tient d’habitude), l’institutrice, pour qui prendre des risques apparaît naturel, de par ses origines alsaciennes. Mais aussi Baptiste (Pierre Deladonchamps), le fonctionnaire qui refuse de rester sans rien faire et s’interroge sur la façon de noyauter l’administration de l’intérieur, Louise (Astrid Whettnall), la bourgeoise au double jeu, ou encore Marie, la jeune postière bénévole à la Croix-Rouge, interprétée par Louane Éméra – dont la présence, seule fausse note du casting, pourrait éventuellement avoir le mérite de faire découvrir le film au jeune public, fan de la chanteuse.


Egalement, NOS PATRIOTES montre très bien la vie des résistants dans le Maquis de la Délivrance. En les voyant affamés, terrifiés et transis de froid, testant sans cesse la confiance qu’ils pouvaient avoir les uns envers les autres, on pense à Un Homme de trop (Costa-Gavras, 1967)ou à L’Armée des Ombres (Jean-Pierre Melville, 1969) dans la filiation duquel s’inscrit le réalisateur. Le sujet tabou, de la sexualité en temps de guerre et du manque, est alors effleuré, Gabriel Le Bomin montrant le désir que suscite Addi auprès des femmes. Mais plutôt que de filmer des corps qui s’entrelacent, le cinéaste préfère saisir les mains et laisser “son libre arbitre imaginaire au spectateur” – il a d’ailleurs renoncé à évoquer une relation homosexuelle entre deux résistants dans son scénario, qu’il considère comme un thème à part entière auquel il consacrera un prochain film. NOS PATRIOTES offre ainsi au spectateur la possibilité de s’attarder sur la personnalité de certains de ces héros ordinaires, auxquels il rend hommage, tout en suggérant que la question de la différence de couleur peut aussi être aplanie quand la défense de la liberté est en cause.


Par Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

LeBlogDuCinéma
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le 13 juin 2017

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