Nope
6.7
Nope

Film de Jordan Peele (2022)

"Nope" veut dire "Nan", un non argotique, proche du défi. Il correspond très bien au personnage de OJ, incarné par Daniel Kaluuya. Non à la peur, non au système, non je ne me ferai pas bouffer par ce pu**** de machin sans me battre. Le taiseux et stoïque OJ contraste fort avec les autres personnages, Emerald, la petite soeur hyperactive, ou Angel, le vidéaste indiscret, en tête, pétrifiés chacun par ce phénomène surnaturel et horrifique.

A voir les personnages scruter l'immensité bleue et blanche, tester des appâts ou courir pour sauver leur peau, on se croirait dans Les Dents de la mer, le ciel n'a jamais été aussi flippant, énigmatique. Rares sont les personnes qui lèvent les yeux au ciel, à l'exception peut-être des poètes, ou des cinéastes - c'est important la lumière au cinéma. "J'aime les nuages", écrivait Baudelaire. Et s'il avait deviné les secrets que recèlent en vérité les cumulonimbus ? On se croirait donc dans Les Dents de la mer, ou bien dans Super 8 version Stephen King - la séquence de la maison inondée de sang et autre matière organique, le plan sur ce ranch de film d'horreur surplombé par une nuée maléfique font forcément écho à l'oeuvre du maître du fantastique.

Mais ce n'est pas qu'un film de genre, ni même simplement un hommage aux films d'aliens ou d'aventures façon Spielberg. Ce film est beau, n'ayons pas peur du mot. Les paysages de l'arrière-pays hollywoodien, immenses, désertiques, sont un vrai terrain de jeu pour les protagonistes - il faut voir la façon dont ils s'amusent avec des bonshommes tubes - qu'on appelle aussi justement les Skydancers... - et surtout pour le réalisateur. Les couleurs pétantes - le vert des banquettes du fastfood - le parc d'attractions réunissent ces deux aspirations, kitsch, faux au possible mais source de plans mémorables, par exemple le cow-boy gonflable qui se fait avaler par le vaisseau vorace. Parlons rapidement du design de l'ovni. Il est magnifique et terrifiant à la fois. Quelle trouvaille pour rendre définitivement autre cette menace de l'espace !

L'importance du parc d'attractions rappelle aussi l'aspect méta du film. Le fait que la famille Haywood descende du jockey du premier film jamais réalisé - ou presque permet quand même à Jordan Peele d'aborder - comme dans Get out - un aspect sociétal, et la reconnaissance tardive de la minorité afro-américaine par le cinéma, le cinéma hollywoodien en particulier.

Cette soif d'image, de L'image qui changera tout, qui vous révèlera aux autres, vous gravera dans le marbre, ou sur Hollywood Walk of fame, quitte à en mourir, est très bien vue. D'ailleurs, la parenthèse, qui explicite le début du film, racontant le massacre perpétré par un chimpanzé sur un plateau de sitcom ne semble absolument pas incongrue, et elle complète idéalement le propos du film. Cette scène est hallucinante, moment suspendu, où l'horreur nous fait adopter le point de vue de l'enfant sous la table, dans un plan façon Création d'Adam par Michel-Ange, un des plus beaux du film. D'ailleurs - encore - le personnage de Ricky "Jupe" Park (Steven Yeun), l'enfant star devenu manager de parc à thème fait étrangement penser à celui de Data dans Les Goonies - autre référence détournée au studio Amblin. Cet ex star de télé qui flirte avec le surréel, qui se croit même copain avec l'ovni - référence ironique à ET ? - nous émeut bizarrement. Un trauma non résolu de plus. Pas étonnant qu'il veuille acheter tous les chevaux d'OJ, des chevaux objets cinématographiques comme le chimpanzé de son enfance, pour les donner en pâture au monstre...

Toujours au sujet de l'aspect méta du film, le personnage du réalisateur fou - ou philosophe - est peut-être sous-exploité, mais c'est un personnage obligé de ce genre de film, ou de ce film de genre - on pense à Robert Shaw dans Jaws. En tout cas, sa caméra à manivelle est un vibrant hommage au bon vieux cinéma, opposé aux caméras de surveillance high-tech. Pas étonnant que le film s'achève avec l'image de ce cow-boy noir - comme celui des premières images en mouvement dont on vante les mérites au début du film, la boucle est bouclée - en sweat orange, en selle sur son fidèle destrier Lucky, survivant à l'incroyable assaut d'un prédateur hors-norme, apparaissant dans un nuage de poussière, au son d'une musique de western digne de L'Homme de la vallée d'Anthony Mann. Un film qui remplit bien sa durée, western fantastique, film d'horreur méta, hommage au cinéma des 80ies, pur objet esthétique. A nous de choisir.

SantiagoCuervo
9
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le 9 sept. 2022

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SantiagoCuervo

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