Alors oui Jordan Peele sait ce qu’il fait, et chacun de ses films intrigue car il a montré qu'il savait mettre en scène ses sujets. Dans Nope, il a compris que pour faire un bon film, il n’y avait pas besoin de tout montrer, de mettre des grands monstres, des grandes créatures partout ou de faire une débauche d’effets spéciaux. Lui cache son monstre, le laisse deviner, et fait monter la tension. Là où le lot commun des blockbusters aujourd’hui montrent des trucs et des enjeux censées être incroyables, sans qu’il n’y ait aucune tension car elle n’est pas construite et donc où tout parait vide, Peele fait l’inverse, il fait monter la tension et les enjeux, et montre assez peu « l’épique ». Et donc ça marche mieux. On a là un bon film qui sait jouer avec la menace qu'il dissimule, dans de longues scènes où tout monte petit à petit, où on sait que ça va arriver, mais ça prend le temps de venir, et donc on a le temps de se construire la menace avant qu’elle n’arrive (et peut-être même qu’elle n’aurait jamais dû être montrée d’ailleurs, car lorsqu’elle est révélée dans toute sa splendeur à la fin, le film perd paradoxalement un peu de sa superbe, on a une impression de déjà-vu avec ce final très blockbuster américain finalement, très spectaculaire, mais enfin bon pourquoi pas).
Mais le problème, c’est que si cette mise en scène de l’étrange, de la tension est réussie, c’est qu’il n’y a que ça dans Nope. Le reste semble en-deçà. Dès que le film traite d’autre chose que la montée de la menace et de la tension, et notamment avec tout le segment avec le singe, le début chez Steven Yeun…, tout ça n’apporte pas grand-chose.
Les personnages sont sans grande aspérité, chacun avec leurs fonctions propres, avec une personnalité unique dont ils ne semblent pas pouvoir dévier et qui manquent un peu de construction, de réel quoi, car là on peut prévoir toutes leurs réactions avant qu'elles n'arrivent tant leur personnalité répond à une case (l’installateur de caméra comique, la sœur extravagante, le réal cynique) (sauf peut-être le héros principal, qui lui, semble avoir ses doutes, sa part d’ambiguïté, ses questionnements sur son avenir et son ranch, son rapport à l’animal, etc.). Et du coup, on s'attache peu. Qu’est-ce qui se passe vraiment dans la tête de ces gens face à la survenance de la menace ? Comment ils la ressentent, comment cela joue sur leurs personnes ?
Alors oui, il y a je ne sais pas combien de niveaux de lecture, on y verra une critique de la société du spectacle populaire abrutissant américain, qu’il ne « faut pas regarder » sinon on se fait bouffer, une critique de la condition sociale noire à Hollywood, avec ces personnages noirs qui là aussi cessent de regarder le spectacle ambiant pour aller vers leur propre destinée, une « déclaration d’amour » au cinéma des années 80-90, mais très franchement, ce n’est pas très subtil, et surtout c’est hyper symbolisé avec ce monstre en forme d’écran de télévision, l’impossibilité de filmer en numérique... Et on a l’impression que Peele s'est trop concentré à vouloir faire passer ses messages (d’où les scènes du singe…). Et que finalement, le tout se veut peut-être trop intellectuel, et manque un peu de cœur, un peu de naturel, un peu de personnalité, un peu d’émotions.
Enfin, ça reste un bon film, bien fait, avec un réalisateur qui sait faire monter un enjeu. On passe un bon moment et on aime mieux voir ça que la plupart des blockbusters américains qui sortent tous les ans.