Nope
6.8
Nope

Film de Jordan Peele (2022)

La différence entre le bon et le mauvais Shyamalan

(Je précise en amont : je risque de spoiler comme un sagouin, et j'ai trop la flemme de mettre des balises soigneusement disposées)

Première question à l'issue du film : est-ce que Jordan Peele ne serait pas un réalisateur complètement surcôté, en voie de shyamalisation ?

On attendait pourtant une confirmation après l'excellentissime "Get out", comédie horrifique désopilante et parfois sacrément angoissante, digne du récit délirant , vertigineux et psychédélique de "Seconds" de John Frankenheimer, avec en prime un commentaire social très contemporain et distillé sans trop de balourdise jusqu'à l'ultime séquence d'une noirceur impayable.

Bref un modèle du genre.

Derrière vient "us" dont tous mes souvenirs ont été rapidement balayés, ne subsiste que l'impression d'une confusion générale, d'un bordel mal branlé, sans structure, où le style tourne à l'épate (et je ne parle pas de l'affèterie des titres de chapitres portant le nom de chaque cheval, ce qui finit par être assez exaspérant puisque ça ne mène nulle part et qu'on le pressent assez rapidement) avec un cumul de choses "bizarres" pour faire un truc hype et cool assez emmerdant sur la durée.

Puis ce troisième film que je qualifierai de complètement anodin et dénué d'ambition. Est-ce l'effet covid/confinement ? 3 ou 4 pauvres personnages qui s'époumonent dans un décor naturel certes gigantesque et très cinématographique au premier regard, mais dont l'utilisation reste finalement assez pauvre. Le méchant étant coincé dans le ciel, il n'y a guère que quelques plans d'ensemble avec une soucoupe ajoutée en post-prod pour tenter de créer un semblant de tension... C'est quand même un brin faiblard et surtout au bout de 2h ça devient vaguement oiseux.

Sans parler du leitmotiv des persos qui tourne en boucle et qui fait singulièrement pitié " on va faire une photo/vidéo de la soucoupe qui se transforme en super papillon méchant mangeur d'hommes pour aller chez Oprah". Le running gag d'Oprah, voilà à quoi se résume l'humour de Peele dans ce film atone.

Alors même si en dépit de sa grande pauvreté, le récit parvient à être très foireux, ça tente quand même quelques trucs :

- D'abord la séquence qui a manifestement marqué le plus le public de ma salle (et je pense plus globalement que c'est aussi le cas pour un peu tout le monde) : celle, malheureusement très déconnectée du récit principal, du chimpanzé qui provoque un massacre sur un plateau de tournage. On retrouve enfin de la mise en scène un peu audacieuse avec tout un jeu sur le hors champ et le son particulièrement appréciable pour renforcer le sentiment d'effroi. Cette horreur est d'autant plus marquante qu'elle est parfaitement crédible, les chimpanzés pouvant être de sacrés psychopathes tueurs d'hommes sans aucun problème.

Pensée émue à ce sujet pour Terry Notary que je suis content de retrouver au générique après sa prestation mémorable d'homme singe dans the square, en me disant qu'il va enfin avoir le droit à une promotion bien méritée et donc à un rôle d'être humain normal, mais ne le voyant nulle part, je suppose qu'ils l'ont juste pris pour faire la mocap du singe, parce qu'Andy Serkis était trop cher.

- L'angle trompeur qui consiste à nous faire croire que l'on va voir un film d'extraterrestre, alors qu'on voit en fait un survival animalier dans la pure tradition du genre (par exemple quelques nanars du style "Anaconda, le prédateur", ou même repenser au t-rex de Jurassic Park qu'il faut éviter d'attirer par le bruit). L'extraterrestre, et au-delà la soucoupe avec tout son aspect en apparence technique et manufacturé est détourné en bestiole organique et vivante. Il s'agit donc d'appliquer la logique du monde animal et ses codes pour la plupart impénétrables pour essayer de s'en tirer (en l'occurrence : les conséquences de regarder ou non une bête droit dans les yeux). Pourquoi pas dans le fond, mais on en tire tellement peu de choses de cette soucoupe, les confrontations sont constamment sommaires, assez superficielles et opaques (alors que les personnages semblent parfaitement en comprendre les ressorts, ce qui n'a pas de sens), assez peu de créativité (des trombes d'eau peuvent en tomber), et sur le final le déploiement en super papillon de l'espace est terriblement risible, en plus d'être particulièrement hideux.

- Michael Wincott qui vient prendre son petit chèque, mais qui aura même à 90 ans (s'il tient jusque là, ce dont je doute), une voix toujours aussi classe, et un charisme intestable.

Voilà c'est à peu près tout le positif que je parviens à dégager de ce machin informe. Sinon tout le reste est gênant.

D'emblée un aspect désagréable, on joue le jeu de la propagande de l'inclusivité - un message lourdement appuyé à plusieurs reprises "nous les noirs on est aussi de très bons cow boys", une soeur insupportable qui doit nécessairement raconter sa vie sexuelle et son homosexualité, personnage totalement écrit avec les pieds qui "vient de la street" alors qu'elle a été élevée au fin fond du midwest dans une écurie. N'IMPORTE QUOI.

Ah et aussi un chinois dont on se contrefout (J'ai rien contre les chinois).

Le perso de Daniel Kaluuya est lui aussi très mal écrit, d'abord il est censé représenter le titre du film : en gros un personnage blasé (je pense que cela s'explique aussi par le fait qu'il ne semble capable que de jouer ce type de rôle), qui dans des situations de crise, lâche un petit "nope" et part en retraite ni vu ni connu, ce qui produit un effet comique plutôt efficace.

Ce personnage est donc un couard, un type assez peu stimulé ou engagé, pas hyper déterminé. Et qui en l'espace d'une séquence va se transformer en chevalier blanc sans peur et sans reproche digne des plus grands cow boy de l'histoire. Non ça ne fonctionne pas.

De façon plus générale, on a un ton très 1er degré (pourquoi pas), assez peu d'humour tout compte fait, et l'on retrouve cette volonté de vouloir faire "original", différent, inattendu, mais de manière très superficielle, très creuse, très molle aussi.

Et j'ai étrangement pensé au "Old" de Shyamalan, autre film-concept à composante horrifique, sur lequel tout le monde a chié, en me disant, "mais en fait je m'étais carrément plus diverti sur ce film-là qui est présenté comme un méga nanar, ce qu'il n'est pas loin d'être".

Shyamalan a capitulé, il ne cherchait plus à être le grand auteur lourd et sentencieux (Le 6ème sens étant tout de même un peu lourdeau, et je parle pas des films d'après).

Il s'est dit : confinement, covid ballec, on part sur une île paradisiaque au large du Costa Rica avec ma team, et on va kiffer sa mère.

Le type déboule direct dans son film en mode deus ex machina avec sa chemise hawaïenne de branleur, les acteurs jouent comme des patates, le scénario est assez grotesque. Mais on s'amuse et le plaisir semble partagé.

Surtout il fait vivre son décor, son univers. Ca a beau être un peu mauvais, ça n'en reste pas moins ludique.

Où est le fun dans "Nope" (film qui par ailleurs ne semble même pas proposer de double lecture particulièrement intéressante à creuser, au-delà de l'indigence du film de genre en tant que tel) ?

Je pense hélas que Jordan Peele, grand auteur, c'est un peu râpé. Il devrait donc assumer son côté shyamalan décomplexé, arrêter de se la raconter, et faire des films déconnants, un peu fous, divertissants, sans pour autant sacrifier la rigueur et l'ambition. Un peu comme "Get out".

KingRabbit
5
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le 28 août 2022

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KingRabbit

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