Yuriko Kasai (Mieko Harada), femme d’âge mûr mais pas encore dans le troisième âge (elle semble en retraite, ne donnant plus que quelques leçons de piano), vit seule dans une maison en ville, au Japon. Son fils, Izumi (Masaki Suda) vient la voir régulièrement, malgré une certaine réticence.


D’emblée, on sent que quelque chose cloche. Chez elle, Yuriko joue du piano, sans la moindre partition devant elle. Quand elle se déplace, la caméra la suit par des mouvements discrets, tout en souplesse. Sur sa table de salon, elle contemple une fleur plus que fanée dans un vase, quand elle entend du bruit du côté de la porte d’entrée. On la voit alors plus jeune, entrer et placer une belle fleur fraiche dans ce même vase. D’après le titre du film, il pourrait s’agir d’une sorte de rituel (de bonheur ?) pour elle. D’ailleurs, on peut y voir un symbole de sa situation, puisqu’elle se rapproche doucement de la condition de femme fanée. Le film use régulièrement du procédé consistant à faire un parallèle entre des situations du présent et d’autres assez similaires du passé et on remarque une belle habileté technique pour obtenir des transitions naturelles, tout en ne laissant aucun doute sur qui évoque le passé.


Le bruit dans l’entrée signale l’arrivée de son fils, Izumi, qui lui souhaite une bonne année (petites courbettes réciproques), ainsi qu’un bon anniversaire. En le remerciant, elle lui répond que peu se souviennent que son anniversaire est le premier janvier, remarque tout sauf anodine, on le comprendra par la suite. Après qu’il ait mangé (oui, lui seul), ils s’installent devant la TV. Remarque au passage : les tenues comme l’arrangement de l’intérieur donnent beaucoup plus l’impression d’une influence occidentale que japonaise. Ils sont donc sur un canapé classique pour regarder le concert du Nouvel An. Impossible de savoir s’il s’agit de celui qui se tient traditionnellement à Vienne (Autriche), mais on entend quand même Le beau Danube bleu de Johann Strauss.


Malgré sa promesse de passer la nuit là, Izumi trouve rapidement un prétexte pour rejoindre sa femme, Kaori, enceinte. Pour les futurs parents, la question est de décider s’ils annoncent la nouvelle à la future grand-mère. On réalise que tous deux travaillent dans la même boîte, contribuant à un programme d’élaboration d’une chanteuses virtuelle sensée cumuler tous les attraits que le public rêve de trouver en une seule et même personne. Activité très « tendance » qui n’est qu’une façon de placer ces personnages dans le contexte actuel.


Suite à un épisode malheureux où Izumi a dû chercher sa mère sortie de chez elle dans la nuit (il la retrouve sur une balançoire, dans un parc, à ressasser « Je veux voir les demi feux d’artifice »), il comprend que cela ne peut plus durer. Après une consultation, sans surprise le verdict du médecin tombe : Yuriko souffre de la maladie d’Alzheimer. Le dialogue apprend à Izumi que ce phénomène est irréversible, même si on peut le ralentir un certain temps, mais qu’il est d’autant plus gênant que sa mère n’est pas bien vieille.


Le manque d’enthousiasme du fils vis-à-vis de sa mère va se faire jour de plus en plus nettement, à mesure d’ailleurs que Yuriko sombre progressivement dans le brouillard de l’oubli. Plus ou moins nets, les faits s’accumulent et accentuent le désarroi d’Izumi qui, lui, n’oublie pas ce qu’il reproche à sa mère.


On finit par comprendre (on s’en doutait depuis un certain temps), qu’elle l’a abandonné plusieurs mois alors qu’il était encore à l’école primaire, fait d’autant plus grave qu’Izumi n’a jamais connu son père.


On se demande un peu si sa rancœur jamais complètement digérée ne risque pas de perturber, de façon inconsciente, sa future relation avec son enfant. De son côté, même dans le brouillard, Yuriko se comporte avec sa personnalité. Les faits qui l’ont marquée, ressortent de manière un peu aléatoire (la perte de mémoire ne s’effectue pas de manière continue ou logique). Tout ce qu’elle perd progressivement (un peu comme des instantanés photographiques), altère sa personnalité et provoque des situations de plus en plus pénibles pour Izumi. Son ressentiment ressort au moment de décider quoi faire de sa mère qui ne peut plus vivre seule. Alors que Kaori (Masami Nagasawa) lui proposait de l’accueillir chez eux (mentalité très japonaise), il coupe court en rappelant qu’elle a déjà sa place dans une institution spécialisée.


Izumi n’avait jamais entendu parler des demi feux d’artifice. C’est en cherchant sur Internet que Kaori comprend de quoi il s’agit. Du coup, Izumi se dit qu’il peut faire ce plaisir à sa mère. La séquence s’avère intéressante, car le réalisateur maintient le suspense en plaçant sa caméra face aux deux personnages qui contemplent la scène. Ensuite seulement, la caméra pivote pour nous faire découvrir ce qu’ils contemplent (elle pour une fois habillée de manière traditionnelle, en kimono et son obi noué dans le dos). C’est étonnant, parce qu’on comprend bien le pourquoi de cette expression et on aimerait pousser la curiosité : est-ce quelque chose de typiquement japonais ? Ceci dit, Izumi a beau faire ce joli cadeau à sa mère, la situation finit par mal tourner et contribue à le démoraliser.


Il ne manque finalement pas grand-chose à ce film de Genki Kawamura, son premier (adaptation de son roman éponyme), pour atteindre la catégorie supérieure des inoubliables, ce qui est malheureux pour une œuvre qui s’attaque à un sujet aussi sensible que la perte de mémoire. Si l’ensemble s’avère émouvant, le petit plus aurait pu être une vraie raison expliquant l’obstination de Yuriko pour les demi feux d’artifice. Quant à la bande-son, elle ne comporte que très peu de musique, en dehors de ce qu’on entend Yuriko jouer à l’occasion au piano.


Electron
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le 7 mars 2023

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