À première vue, N’attendez pas trop de la fin du monde ressemble au cousin dégénéré de Drive my car. Coincée dans l’enclos de sa voiture, Angela est sollicitée de toutes parts. Sonneries de notifications, chauffards malpolis et klaxons opportuns, la journée s’annonce mal. À cette déambulation dans les quartiers sinistrés de Bucarest s’ajoutent deux types d’interludes : des storys postées par la protagoniste sur Instagram, dans lesquelles elle s’amuse à insulter quiconque a eu le malheur de croiser son chemin, ainsi que des extraits remontés d’un film roumain de 1981, Angela Moves On. On peine à voir où Radu Jude veut en venir tant ses parti-pris sont hétérogènes. Le visionnage s’annonce insupportable comme une visioconférence à quinze, une publicité intellectualisée ou un court-métrage expérimental trop long.


Le récit se divise en trois mouvements. Le premier est donc celui de la découverte du film et de ses parti-pris, dans une exposition rapide et bordélique. Puis le rythme se pose et laisse alors apparaître un grand vide : ce qui s’annonçait comme un film punk et survolté n’est que le récit d’une journée de travail stressante, que même une partie de jambes en l’air entre deux voitures ne saura apaiser. Peu à peu, la protagoniste se définit au gré des rencontres et s’adoucit. Si la présence d’ouvriers abîmés par le travail annonce un dénouement engagé, le récit se perd dans des scènes moins signifiantes, comme une improbable rencontre avec Uwe Boll dans son propre rôle. La fatigue grandit. À force de détours, une tension sourde s’installe. Chaque moment de calme laisse présager un danger grandissant.


Et puis arrive le troisième mouvement du récit, où le slow burner explose enfin. Le film achève sa métamorphose dans un plan-séquence glaçant où le tournage d’un spot de prévention à destination des ouvriers roumains devient une entreprise d’humiliation et de destruction. La caméra est braquée sur une famille en plein dilemme, forcée d’endosser la responsabilité d’un malheureux accident de travail. La protagoniste, qu’on avait appris à apprécier, n’est d’aucune aide ; les rapports de domination sont immuables. Reste le regard de cette famille roumaine pétrifiée, à qui on retire le droit à la parole par le montage. Cette conclusion, d’une cruauté rarement atteinte, frôle le cynisme ; mais à une heure où les nouvelles technologies font le jeu des grandes puissances économiques, elle a quelque chose de révolutionnaire.


Site d'origine : Contrastes

Contrastes
7
Écrit par

Créée

le 2 oct. 2023

Critique lue 23 fois

Contrastes

Écrit par

Critique lue 23 fois

D'autres avis sur N'attendez pas trop de la fin du monde

N'attendez pas trop de la fin du monde
takeshi29
8

L'antidote à la bêtise d'Östlund

Radu Jude est selon moi l'un des cinéastes contemporains les plus stimulants. Car il n'y a pas que les titres de ses ses films qui soient tout un programme. En effet après les formidables "Peu...

le 16 oct. 2023

9 j'aime

1

N'attendez pas trop de la fin du monde
Multipla_Zürn
9

Critique de N'attendez pas trop de la fin du monde par Multipla_Zürn

Un film où tout le monde est horrible - mais où personne n'est accusé. Radu Jude vise plus loin que ses personnages ; avec eux, il fait le portrait le plus acerbe qui soit de la violence sociale, et...

le 28 sept. 2023

8 j'aime

N'attendez pas trop de la fin du monde
Contrechamp
8

Docteur Jekyll et M. High Profit

En choisissant N’attendez pas trop de la fin du monde comme titre, Radu Jude maintient l’inimitable ton sarcastique qu’il porte sur une société roumaine, et par extension européenne, en perdition...

le 26 sept. 2023

6 j'aime

2

Du même critique

Strange Way of Life
Contrastes
3

Soudain le vide

Il y a quelques années, Saint Laurent se payait les marches du Festival de Cannes en co-produisant Lux Æterna de Gaspar Noé, coquille vide qui permettait néanmoins à la marque de s’offrir un joli...

le 17 août 2023

23 j'aime

Unplanned
Contrastes
1

Propagande pure et dure

Même en tant que rédacteur amateur d’un blog à très faible audience, décider de consacrer un article à Unplanned est loin d’être anodin : dénoncé depuis plus de deux ans comme un nanard de propagande...

le 16 août 2021

14 j'aime

1

After Blue (Paradis sale)
Contrastes
7

Luxe, crasse et volupté

« Nous aurons fait un grand pas en esthétique lorsque nous serons parvenus non seulement à la conviction intellectuelle mais à la certitude intime que l’évolution de l’art est liée au dualisme de...

le 19 févr. 2022

11 j'aime