Pas celui de Disney

La nouvelle version de Mulan par Disney n’est finalement pas sortie en salles, et tant pis pour les dirigeants d’exploitations qui ont pendant des décennies assuré à la compagnie sa prospérité, mais il faut bien que l’argent rentre. S’y sont ajoutées différentes polémiques qui n’ont pas redoré l’image du film. Heureusement, d’autres adaptations existent.

L’opportunisme de certains distributeurs n’étant plus à démontrer, la réedition cet été 2020 de ce Mulan initialement sorti en 2009 n’est évidemment pas sans liens avec le remake en prises de vues réelles de Disney. Les deux typographies sont d’ailleurs assez proches. Certains consommateurs ont d’ailleurs grogné des dents devant ce qui n’était pas “la légende "Dysnée"” (sic).

La déception peut se comprendre, mais cette adaptation ne manque pas de qualités. Ambitieuse production chinoise, le film de Jingle Ma diffère bien évidemment de la fantaisie du dessin animé de 1998, pour un résultat plus martial, mais aux intentions floues.

Car la question principale du film est celle de la place de Mulan dans l’armée. Ses origines sont à peine présentées, son départ pour la guerre à la place de son père est évasif. Hua Mulan se retrouve dans un contexte de guerre, entre son peuple, les Weis, sédentaires, et les Rurans, qui vivent de pillages. Dans le bataillon, elle cache son identité mais se rapproche de certains, dont Wentai, l’un des responsables militaires. De simple soldat, elle va prendre du galon, deviendra Général, mais elle devra apprendre à surmonter ses émotions.

Les émotions, un bien grand mot pour évoquer quelques sanglots, quelques moments de mou devant quelques morts bien inutiles pour protéger l’armée. Mis à part quelques personnalités au premier plan, le duo Mulan et Wentai, les individualités s’effacent pour la grandeur du collectif, dans des élans mélodramatiques parfois émouvants, parfois trop grandiloquents.

Le réalisateur considère son film comme anti-guerre, ce qui n’est pas si évident à percevoir. Certes, les responsables des Rurans sont présentés avec des personnalités diverses, sans qu’il ne s’agisse d’un clan barbare et méchant, mais ils se partagent des moralités bien différentes. La prise de pouvoir de Mendu permettra d’offrir un antagoniste massif et dangereux, à la personnalité trouble. Les horreurs de la guerre semblent nécessaires, le devoir est valorisé, qu’on soit soldat ou général. Les responsables militaires se doivent d’être de solides meneurs, leurs soldats pourront d’autant mieux se sacrifier pour eux.

Un frisson parcourt parfois le corps, devant de telles démonstrations héroïques, le siège qui occupe une grande part du film est assez tendu. Mais le scénario s’offre des moments un peu plus gênants, avec certaines idées déjà vues et revues ailleurs, dont on devine les conséquences. Le chef des Rurans est vieux et prudent alors que son fils est jeune, fourbe et combattif... Wentai est annoncé comme mort, mais son corps est absent... Et autres grosses ficelles.

La relation entre Wentai et Mulan est un autre grand point du film, toute ambiguïté possible est d’ailleurs levée entre eux, le premier découvre bien rapidement que le second est une femme. Il va s’en suivre une relation assez forte entre eux, une histoire d’amour évidemment compliquée par le sens du devoir, pour assurer la tension mélodramatique nécessaire. Face à la belle et forte Zhao Wei, la prestation de Chen Kun est moins assurée, même si le duo fonctionne bien.

Le fait que Mulan soit une femme est d’ailleurs peu abordé dans cette adaptation, dans ce milieu parfois un peu fort en gueule Mulan s’insère naturellement, sans aucunes remarques ou autres observations sur l’un ou l’autre sexe. Le risque qu’elle soit démasquée ne sera le sujet que de quelques scènes. Il est d’ailleurs un peu trop facile qu’elle puisse s’intégrer aussi facilement, il faut vraiment avoir les yeux un peu trop bridés pour ne pas voir qu’elle est une femme.

Cela fait partie des facilités adoptées par le film, des concessions à la crédibilité. Les 114 minutes semblent parfois insuffisantes, avec des ellipses assez appuyées. 24 minutes de scènes coupées au montage apparaissent dans les éditions asiatiques, ce n’est pas le cas dans cette réédition de 2020, dommage.

D’autant plus que si on peut reprocher à Mulan certaines légèretés dans sa trame, il est difficile de critiquer de manière trop appuyée un film à la réalisation solide, parfois même impressionnante, et parfois même touchante. Même si le montage abuse un peu trop des fondus entre les plans. Si la Chine du Ve siècle sera peu aperçue, les décors des montagnes étant le principal arrière-plan, les tenues et autres armures ne semblent pas factices, portées par une armée de figurants, au sens littéral. La dramaturgie des scènes est parfois appuyée, mais la réalisation offre de beaux moments, même si elle le fait pour mettre en valeur le sacrifice nécessaire. Les scènes de guerre s’imposent naturellement, entre les bataillons organisés des Weis et l’énergie des Rurans, la caméra ne lâche rien.

Cette adaptation de 2009 reste une grosse production, aux angles arrondis, où les drames de la guerre sont un peu trop bien mis en scène pour y trouver une véritable critique, mais avec certaines belles réussites dans la valorisation de l’héroïsme. Mulan est une belle figure, une héroïne, même si son sexe importe peu et qu’elle partage un peu trop la pellicule avec Wentai. Cette production chinoise, couronnée de nombreux prix sur son territoire, réintroduit son héroïne littéraire dans son cinéma avec une certaine adresse.