Il y a encore quelques jours à l’heure où j’écris ces lignes, de la période Daniel Craig de la saga James Bond, je n’avais eu l’opportunité de voir que Skyfall. Ayant entrevu que le dernier opus semblait faire référence à des éléments des précédents films, je me suis donc lancé en deux jours dans un petit marathon-rattrapage pour me remettre à jour, et j’ai donc visionné Casino Royale, Quantum of Solace et Spectre, avant d’entrer dans une salle obscure pour conclure cet arc avec No Time to Die (ou Mourir Peut Attendre en français, étrange traduction que je me refuse à employer ici, à part à l'utiliser comme jeu de mot pourri pour le titre de cette critique). Dans ce qui suit, je m'efforce de ne pas dévoiler concrètement les éléments clé de l'intrigue, toutefois quelques légers spoilers ou sous-entendus peuvent subsister.


C’est donc parce que j’ai des souvenirs assez frais de l’ensemble de cet arc que j’avais envie de m’essayer à une modeste critique du dernier opus, de mon point de vue très amateur, mais surtout de le mettre en face de ses aînés. Car en effet, en quelques jours, j’ai pu découvrir que pour la première fois dans la saga, cette ère Craig formait un arc complet, offrant à l’agent secret un début, un développement et une fin dans une série d’épisodes qui se suivent, ce que j’ignorais totalement. Car s’il est vrai que Skyfall comporte un événement important, je n’avais pas entrevu cette possible continuité entre les différents opus. J’avais d’ailleurs mal compris comment cet épisode pouvait s’articuler avec le reste de la saga, notamment vis-à-vis du traitement du personnage de M, interprétée par Judi Dench depuis GoldenEye, sous l’ère Pierce Brosnan. Mais contrairement à ce que peut laisser croire la présence de cette dernière qui reprend ici son rôle, c’est bel et bien un reboot qui a été entamé avec Casino Royale, et on ne peut que saluer ce parti-pris, montrant une envie de renouvellement.


Mais revenons-en à No Time to Die. En sortant de la séance, mon avis était quelque peu tiraillé. Du haut de ses 2h43, le film se laisse regarder sans ennui et en passant un bon moment. Je n'ai vraiment pas vu le temps passer. Mais d'un autre côté, l'intrigue m’a paru un peu capillotractée et pas vraiment originale, en plus d'être un peu trop linéaire (un peu les mêmes travers que Spectre) et saupoudrée de mélo qui ne colle pas vraiment à l'univers de Bond.


Toutefois, avec un certain recul, je m'aperçois que ces apparentes déceptions ont quelque peu été conditionnées par la direction prise au départ de cet arc, qui dans Casino Royale nous faisait découvrir un film assez terre-à-terre, voire même intimiste (n'oublions pas qu'une grande partie de l'intrigue tourne autour d'une partie de poker), et en tout cas bien plus réaliste que ce que certains épisodes de la saga nous ont donné à voir. Quantum of Solace continuait alors dans la même direction, avec notamment un méchant assez ordinaire (interprété par Mathieu Almaric) sur une histoire de contrôle de ressources naturelles assez banale. Si Skyfall montait en intensité dramatique autour du héros, le tout restait encore plutôt réaliste malgré l'introduction de Q et de ses gadgets. Spectre a alors commencé à me surprendre de par sa grandiloquence qui jurait avec les débuts de l'arc, et No Time to Die poursuit sur cette lancée en intégrant des éléments lorgnant même vers la science-fiction. Ainsi, quand le très bon Casino Royale nous donnait l'impression de repartir sur une base plus réaliste, plus brute et organique, cette montée dans la grandiloquence accompagnée d'un adoucissement du héros peut en effet paraître critiquable.


Pourtant, en gardant une vue d'ensemble sur les différents épisodes de cet arc, il m'apparaît assez clairement que les producteurs ont tenu a rendre un hommage à l'ensemble de la saga et à ses différents interprètes à travers ce dernier, et ce de façon assez intelligente, en faisant évoluer son héros et son entourage pour expliquer ses changements de traits de caractère. Ainsi, le Bond que l'on nous présente au départ, plus brutal et à la gâchette facile peut nous rappeler celui de Sean Connery. C'est également un Bond plus jeune, plus novice, assez tête brûlée, et qui fait des erreurs. Les différentes missions mais aussi et surtout les différents drames personnels traversés durant ces épisodes le feront mûrir, s'assagir quelque peu, et gagner à partir de Spectre quelques traits d'humour qui pourront évoquer Roger Moore voire même Pierce Brosnan. Enfin, sa part plus sentimentale peut faire écho à George Lazenby, le seul Bond qui se marie, rappelons-le (No Time to Die comporte par ailleurs quelques clins d'œil à son unique épisode Au Service Secret de Sa Majesté). Quant aux changements de tonalité des différents films, ils sont eux aussi bien respectueux de la saga qui a montré avec le temps bien des tons différents, de réaliste à moins réaliste : n'oublions pas Moonraker et ses scènes dans l'espace, Goldeneye et son satellite destructeur, Meurs un autre jour et sa voiture invisible ou encore une fois Au Service Secret de Sa Majesté avec ses histoires de virus et de lavages de cerveau, pour ne citer qu'eux. Et même si certains de ces épisodes sont considérés comme des aberrations, il n'en reste pas moins que ce type de scénario capillotracté tel que l'on peut voir sur No Time to Die trouve finalement tout à fait sa place dans un James Bond.


Par ailleurs, dans la même démarche, No Time to Die rend également hommage à la figure du grand vilain mégalomane et écorché maintes fois représentée dans la saga, déjà incarné dans Spectre par un Blofeld (Christoph Waltz) devenu borgne et balafré suite à une explosion déclenchée par Bond, et qui fait son retour dans ce nouvel opus, mais aussi et surtout par Safin (Rami Malek), le grand vilain de cet opus avec sa peau criblée suite à un empoisonnement subi dans son enfance. Sa base secrète au décor à la fois monumental et froid est également très typique.


Alors certes, ce No Time to Die n'est pas exempt de défauts. Et puisque nous parlons des méchants, c'est bien par eux que surviennent les plus gros travers du film. Le super-vilain n'est en effet pas très creusé et on peine à comprendre ses motivations. Une fois sa vengeance personnelle assouvie, pourquoi veut-il s'attaquer à la planète ? Cela reste un mystère… Quant à Blofeld, son implication est assez anecdotique (même si elle donne lieu à une très bonne scène de tension dans la prison), il est même assez curieux de ne pas avoir fait de lui le grand méchant du film, Chistoph Waltz n'ayant pas vraiment eu l'occasion de tout donner dans le précédent.


On peut également s'interroger sur le rôle des Bond girls dans le film. Nomi, le nouvel agent 007 (interprétée par Lashana Lynch), une femme noire non dénuée de style, manque malheureusement un peu d'épaisseur, ce qui est assez dommage si le but était de représenter la diversité dans le rôle d'une héroïne. On en viendrait même à lui préférer le personnage de Paloma (Ana de Armas, qui a visiblement bien su marquer les esprits), pétillante agent de la CIA avec qui Bond a une brève occasion de collaborer à Cuba en début de film et dont l'absence totale dans le reste de la pellicule a de quoi surprendre.


Enfin, on pourrait également débattre de cette fin qui divise. Pour ma part elle ne me choque pas, elle ne me déçoit pas non plus puisqu'elle clôt un arc complet, je lui reprocherai juste toutefois d'être prétexte à un débordement de mélo qui lui ne me semble pas vraiment dans l'esprit de la saga. Mais finalement, au vu du développement voulu du personnage, de son humanisation qui le place dans l'ère du temps, tout ceci trouve sans doute une certaine logique…


Que pouvons-nous conclure de tout ça finalement ? Peut-être que Casino Royale et Skyfall avaient levé la barre un peu (trop ?) haute, réveillant sans doute chez les fans un certain niveau d'exigence (scénario alambiqué, réalisme, méchants plus creusés) alors qu'au final James Bond reste avant tout du pur divertissement, voire aujourd'hui du blockbuster, et à ce titre là, No Time to Die remplit parfaitement son cahier des charges. Tout en concluant cet arc, que je vois donc comme un hommage à la saga, globalement réussi mais avec certes quelques travers, et des choix qui ont fait, font et feront sans doute toujours débat.

Evanizblurk
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le 19 oct. 2021

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