Cette année à Gérardmer, Brandon Cronenberg n’est pas le seul réalisateur à porter l’héritage flamboyant de son père. Difficile de ne pas penser à l’oeuvre du maître face à Mosquito State tant le film porte en lui plusieurs thématiques récurrentes de Cronenberg : la décadence d’un corps et la jouissance qui en découle vient chercher du côté de La mouche, l’écroulement du monde déconnecté des puissants rappelle Cosmopolis, et cette lente déshumanisation hypnotique évoque Crash. Cependant, même si les sources d’inspiration sont évidentes, le film possède bien d’autres qualités sur lesquelles s’appuyer pour échapper à la comparaison.


Mosquito State compte beaucoup sur son personnage principal pour séduire. Richard est le cliché du petit génie timide mais attachant, dont le jeu exagéré lui donne étonnamment beaucoup de force : il est mal à l’aise en permanence jusque dans sa façon de marcher ou de se tenir droit, créant un parallèle intéressant entre son appartenance au système et son incapacité à vivre en société. La déformation progressive de son corps ne se contente pas de suivre une détérioration de son esprit, puisqu’il semble s’adapter plus que jamais à la folie du monde. Richard finit par accepter l’écroulement du cours de la bourse, agit en parfait gentleman avec sa dulcinée et se laisse posséder par les moustiques. En ce sens, le film trouve une véritable beauté dans son nihilisme : il ne part pas dans un thriller lambda où le personnage sombre dans la folie, ni dans un film d’horreur où les moustiques représentent un danger direct. Bien qu’elle soit davantage un personnage-fonction, Lena séduit par sa candeur et son naturel qui l’empêchent d’être une beauté froide ce qui, associé à ses difficultés financières, justifient parfaitement son étrange attachement envers Richard. La première scène de rendez-vous est très réussie, avec cette conversation à la fois naturelle et timide, qui s’achève par un magnifique hurlement dans un coussin pour évacuer toute cette tension accumulée. Face à cette détresse relationnelle, la réaction compréhensive de Lena la rend d’autant plus attachante aux yeux du spectateur. Ce duo est donc l’un des points les plus réussis du film, d’autant plus qu’il a le bon goût de ne pas en être le centre.


L’une des autres franches réussites de Mosquito State est de fonder sa tension sur une ironie dramatique. L’intrigue se déroulant juste avant avec la crise des subprimes, le spectateur sait parfaitement que la prédiction de Richard est juste. Cette épée de Damoclès crée une ambiance très étouffante, appuyée par toutes les actualités télévisées qui se concentrent sur des sujets mineurs. Si les moustiques ne sont pas la source de danger principale du film, ils ont néanmoins droit à leur lot de scènes angoissantes, notamment lorsque le personnage principal est obligé de s’abriter sous ses draps pour résister à une nuée assourdissante. Derrière leur aspect repoussant, les moustiques possèdent également une certaine beauté lorsqu’ils forment de belles traînées sur des musiques quasi-christiques ou romantiques. Le film distingue clairement le monde extérieur avec sa mise en scène classique de l’appartement de Richard avec ses moustiques et sa fumée, ses cadrages dérangeants et ses éclairages artificiels. Mosquito State se permet également quelques fulgurances esthétiques fonctionnant plus ou moins, notamment un chapitrage qui offre une iconisation de la crise assez bienvenue. En revanche, toute la séquence d’introduction où le point oscille entre un moustique et la foule est bien trop appuyée pour réellement fonctionner, et la première séquence d’hallucination est tellement hors-sujet qu’elle semble provenir d’un autre film. Malgré tout, Mosquito State est indéniablement une belle proposition de cinéma qui aurait gagné à dépasser un peu plus ses modèles et à être encore plus radicale. Assurément l’une des belles découvertes de cette année à Gérardmer.


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le 4 févr. 2021

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