« La mer possède ses yeux à elle »

Dans ce constant jeu d’interdépendance entre le noir de la mort ambiante et le blanc de la lumière source d’espérance, Jean Epstein construit son film à la manière d’une ode magnifique à la terre bretonne que les vagues nourrissent de leurs assauts répétés : territoire en constante transformation et qui, pourtant, se régénère par cycles, la masse rocailleuse des Sénans offre au cinéaste une matière cinématographique et photographique infinie, où tout est pris de mouvement, des femmes aux marins, des aléas de la marée aux vêtements suspendus sur la corde à linge. Premier film parlant du cinéaste – en ce sens où Epstein insère une composition musicale signée Alexis Archangelsky qui épouse le rythme des scènes tout en soufflant un air chargé de sel et de houle –, Mor’vran affirme que « la mer parle », dispose de son propre langage, à elle : ses vagues rapportent sur les berges des fragments de vies, des êtres aimés que l’on enterre, des trésors dont on trouve aussitôt à s’orner. Et l’œuvre se bâtit par couches successives, suivant une poétique du rapiéçage qui saisit l’urgence des corps en action : différentes tonalités cohabitent et s’entremêlent, participent à ce mystère omniprésent où l’ordre qui régit l’existence sur l’île repose sur une composition chaque jour renouvelée de l’homme avec la nature environnante. Les murets organisent l’espace et permettent les rencontres, les digues font de même et subissent l’impétuosité des marées, le phare casse la verticalité de la mer tel un élément de médiation entre Ciel et Terre. Jean Epstein capte par la grande poésie de son cinéma des tranches de vie et restitue à la Bretagne sa beauté tourmentée, rejouée au gré des vagues, condition sine qua non de son sublime, ainsi que de son immortalité.

Fêtons_le_cinéma
10

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le 23 juin 2019

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