Les temps sont durs pour les petits films français, encore plus lorsqu'on tourne peu et avec des acteurs pas trop connus comme le fait François Dupeyron. Si les télévisions (le dernier grand distributeur) ne veulent pas vous aider, vous n’aurez pratiquement plus aucune chance de monter et diffuser votre film.
C'est ce qui s'est passé pour "Mon âme par toi guérie", à cause du sujet pas forcément vendable mais aussi à cause du parcours du réalisateur qui, pour aider son ami Claude Berry, s’est un peu grillé auprès de la profession et du public pour « Trésor ».
Ce ne l'a pas empêché de faire ce très beau film qui est « mon âme par toi guérie » et de parcourir toute la France pour le présenter avec ou sans son acteur principal. Avec un talent de grand orateur qui donne l'impression que le temps s'arrête. On l'écoute parler du film, de la difficulté de le monter, de son expérience avec les distributeurs, de sa filmographie qui fait le grand écart (mais toujours avec le même dénominateur commun : le père absent ou blessant), la convention collective, sa relation avec le regretté Claude Berry qu’il a dû remplacer après 4 jours de tournage sur « trésor »,... Ce sont des sujets difficiles mais passionnants à écouter.
« Mon âme par toi guérie » a donc été adapté du propre roman de Dupeyron (car on n’est jamais mieux servi que par soi-même) "Chacun pour soi, Dieu s'en fout" et est réalisé avec trois bouts de ficelle, avec le plus possible de la lumière naturelle et des acteurs qui ont réduits leur salaire de trois fois pour faciliter le tournage. Le décor est réduit à quelques caravanes alignées, un hôpital, un café et une grande maison prêtée par une amie du réalisateur.
Et le film est une merveille, un concentré de vie et de sincérité. Porté par un Grégory Gadebois (un acteur qui tarde à exploser) dans un rôle qui lui va comme un gant : un bourru au cœur tendre. On l’a déjà vu incarner parfaitement ce personnage dans « Angèle et Tony » (d’Alix DeLaporte) pour lequel il avait eu un césar en 2011. Ici, il incarne un homme qui refuse son don de guérison mais qui, à cause de ça, se coupe du monde et donc passe à côté de sa vie.
Sa vie auprès de son père (Darroussin) qui s’est remis à parler après le décès de sa femme car « elle parlait pour nous deux », ses ami(e)s eux aussi dans un tournant dans leur vie, sa prostituée régulière qu’il va voir quand il est « en manque de contact » et qui est devenue une amie, ses petits boulots fonctionnels, sa fille qui pleure tout le temps et cette femme qu’il croise plusieurs fois et qui lui donne l’impression de devoir sauver. Cette femme au bout du rouleau qui arrive à un tournant de sa vie : mourir ou se relever. Céline Sallette incarne cette femme à fleur de peau, perdue, dépressive.
Elle a cette façon de jouer, ce regard et cette voix qui nous poignarde en plein cœur. Une de ses meilleures scènes est pratiquement muette. Il y a juste le jeu du regard et des mimiques. Elle écoute pendant plusieurs heures les discussions entre Grégory et ses patients, comprenant ainsi qui il est, ce qu’il fait et sa présence à elle dans sa vie à lui, puis il l’a rejoint, lui fait des compliments qu’elle rejette d’un air catégorique (« vous êtes belle ».. « Non pas à cette heure-là non ») et l’incite à ne pas la sauver. Car « vous n’y arriverez pas, c’est trop tard » accompagné d’un très beau travail de lumière (d’Yves Angelo, dont le travail avait déjà été vu dans « tu seras mon fils » et certains anciens films de Dupeyron). Malheureusement le jeu de Céline n’est pas toujours bon lorsque son personnage est en état d’ébriété (ce qui est souvent) mais sa dernière scène (commune avec Grégory) est d’une incroyable justesse et est bouleversante.
Il est amusant de savoir que ces deux acteurs avaient déjà joués ensemble dans la série « les revenants » où, dans leur unique scène commune, c’était elle la plus « saine », elle qui l’aidait à vivre, à se remettre d’aplomb, à revenir à la surface. En espérant qu’ils rejoueront ensemble à l’avenir (certainement dans la saison deux des revenants, sur nos écrans fin 2014) car il y a cette complicité, ce plaisir à jouer ensemble qui se voit, se ressent et qui est un plaisir pour le spectateur.
Il en est de même pour la relation père/fils (Darroussin toujours très bon). On devine tout au long du film qu’ils ne se sont jamais vraiment parlés, et que le dialogue s’est mis en route lors du décès de la mère /femme, alors ces scènes-là pleine de pudeur sont très émouvantes. Que ce soit affalé dans le canapé avec une bière à la main, ou à la plage, tout mot est mesuré, rien n’est dit au hasard.
Le film est un bout de vie, qui s’étale sur 2h. Une durée qui pourrait faire peur alors qu'il y a un scénario aussi « simple » mais le spectateur est embarqué à bord de la moto de Freddy, rassuré, au chaud et en est même déçu que le voyage s’arrête aussi vite.
cygnenoir
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le 29 nov. 2013

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