L’adaptation du roman éponyme de Niccolo Ammaniti est une sublime rencontre à laquelle nous convie Bernando Bertolucci : IO ET TE est l’habile portrait d’un adolescent en quête de lui-même qui se trouve à travers l’autre alors qu’il cherche justement à fuir toute socialité. Troublant.

Lorenzo a 14 ans. Contraint de se rendre chez un psychologue, il témoigne d’une froideur qui le rend tout à la fois inquiétant et fascinant. D’emblée il apparaît comme marginalisé en ne donnant aucune valeur à la notion de « normalité » face à laquelle son psy tente de le confronter. Issu d’un milieu aisé, il habite avec sa mère et son père semble absent. Lorenzo porte sur le monde qui l’entoure un regard grave mais néanmoins fantasque.

Il voit dans le voyage au sport d’hiver organisé par son école une manière intéressante de faire penser à sa mère qu’il s’intègre auprès de ses camarades. Il prétend dès lors s’y rendre alors qu’il ourdit de se glisser dans la cave de son immeuble le temps de ce séjour. Il s’organise avec méthode et investit un espace clos et obscur. Mais un élément vient perturber ses plans : sa demi-soeur Olivia envahit le terrain que Lorenzo s’est approprié et lui impose sa présence. Ils ne se côtoient plus. Ils ne se connaissent pas. Les circonstances leur offrent-ils la possibilité de se découvrir qu’ils la saisissent un peu malgré eux.

L’ouverture du film permet de mettre en place une série d’enjeux tout en asseyant une distanciation quant au protagoniste. Celle-ci trouve son origine à la fois dans le caractère farfelu de Lorenzo, partagé entre la douceur qu’il témoigne à l’égard de sa grand-mère et l’étrangeté de son rapport à sa mère, et dans la mise en scène qui nous place comme les observateurs, les témoins de ses (intrigants) agissements. Les gestes de l’adolescent en esquissent le caractère toutefois naïf à l’instar du menu qu’il envisage, identique pour chaque jour, composé notamment de cola et de jus de poire.

Lorsqu’il pénètre la cave, l’espace nous conduit presque à la suffocation : le réel fatras qui y règne se combine à une impression d’étroitesse où l’abondante poussière semble gêner notre propre respiration. Néanmoins, peu à peu, à mesure que Lorenzo s’approprie le lieu, celui-ci apparaît respirer. Lorsque Olivia débarque par surprise, la cave et Lorenzo semblent avoir fusionner. Alors que la jeune femme pénètre l’espace, c’est l’intimité de son demi-frère qu’elle viole. La distanciation jusqu’alors établie à l’égard du garçon s’annihile soudainement. Nous faisons nous même corps avec lui et redoutons l’arrivée de ce nouveau personnage qui pourtant va donner au film tout son volume.

La rencontre qui se compose alors, peu à peu, va de pair avec une modulation de l’espace. L’éveil à l’autre dessine, tant pour Lorenzo que pour Olivia, un éveil à eux-même. L’ouverture de leur esprit s’inscrit visuellement et graduellement. La distanciation fait place à la fascination qui elle-même conduit à une réelle communion. La cave devient alors un réel appartement où les souvenirs et les objets du passé reprennent vie.

Bernardo Bertolucci magnifie les regards et transforme l’espace de manière telle que celui-ci devient lui-même un protagoniste. L’approche du réalisateur se module au fil de la rencontre et sublime ainsi le ressenti des personnages qu’il filme sans concession, souvent en gros plan. Il fait de Lorenzo, qui demeure la figure centrale du film, notre complice et pose sur lui un regard qui devient protecteur. Moult éléments, habilement mis en avant au montage, sont vecteurs de sens et de sensations à l’instar du terrarium de fourmis, des clichés ou encore de la musique à la fois intra- et extra-diégétique. Il recourt ainsi à deux versions de « Space Oddity » de David Bowie, l’une originale et l’autre en italien, dont les paroles dessinent une intertextualité perturbante.

http://www.ungrandmoment.be/io-e-te/
Nicolas_Gilson
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le 16 juil. 2013

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