Il s’est senti normal, c’est-à-dire rien. C’est un adolescent, avec son acné et le malaise pour compagnons. Il faudra aller au fond des choses. En sourdine, une chanson résonne :
« J'essaie d'en rire De couvrir le tout de mensonges J'essaie d'en rire De cacher mes larmes Parce que les garçons ne pleurent pas Les garçons ne pleurent pas Je me prosternerais à tes pieds Et implorerais ton pardon Je te supplierais Mais je sais qu'il est trop tard Et à présent il n'y a rien que je ne puisse faire Alors j'essaie d'en rire De couvrir le tout de mensonges J'essaie d'en rire De cacher mes larmes Parce que les garçons ne pleurent pas »
Pour se laisser aller, il fallait toujours quelqu’un d’autre. Partir au ski, ça lui ferait du bien. Fumer du shit ? Il préfère refaire ses clefs, et parler à sa mère de se reproduire avec elle à cause d’un virus menaçant, se renseigner sur la nécessité d’un terrarium quand on veut des phasmes. Quand, de plus, on raconte des histoires de pâtissiers apprivoisant des cafards, cela présage d’un drôle d’imaginaire. Fascination pour les fourmis à la loupe, il faut faire croire qu’il est bien parti à la neige, que demain il y a la descente des flambeaux, alors qu’il végète dans la cave, à agiter ses canettes pour s’en asperger et créer par la même occasion des rigoles facilitant la vie des fourmis voisines. Sa demi-soeur Olivia passe en coup de vent, avec la crève, une crise de manque et une humeur de chien pour cadeaux de retrouvailles. Planqué dans son trou, vaut-il mieux que les autres ? Retirer du sol le zèbre mort qui fait tapisserie, contempler son manque, qui tranche le corps de convulsions moites, de pleurs honteuses, de rage d’ébène, le cernant d’un bleu vert autour des yeux, le réduisant à des paquets de données brutes sans valeurs. Fernandino vient la chercher pour qu’elle voit la mer, mais elle préfère rester avec son frère psychopathe et sicilien de surcroît. Elle réalise des photos pas comme les autres, sa façon à elle de résoudre par le visuel ce qui passe, déformé, à travers l'interface de ses nerfs, pendant que lui invente un ciel éthéré, des ruisseaux cristallins, au téléphone, pour rassurer la famille, interceptant les angoisses et les avalant en mots de passe qui transitent en clair dans son sommeil, et dans son apnée de 38 secondes sous le robinet.
ThomasRoussot
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le 6 nov. 2014

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