[Critique contenant des spoils]


J’avais aimé Gummo, cette succession de sketches très perturbants qui finissent par dresser le portrait d’une certaine Amérique façon Short cuts de Robert Altman. Mister Lonely est moins percutant, plus conventionnel dans son approche scénaristique. Il interpelle tout de même.


Un sosie de Michael Jackson enchaîne les figures du maître, sans musique – là est le décalage –, en s’foutant pas mal du r’gard oblique des passants honnê-tes. En sollicitant, même, leur obole. Pas de quoi survivre à Paris sans doute, mais un agent l’a pris sous son aile : c’est Renard, alias Leos Carax himself, tirant frénétiquement sur sa clope. Oui, car dans Mister Lonely, si les anonymes se mettent dans la peau des stars, l’inverse est aussi vrai : ainsi Werner Herzog incarnera-t-il un obscur missionnaire perdu dans la jungle amazonienne.


Grâce à Renard, le sosie de Michael va rencontrer celui de Marylin… dans un EHPAD. La scène suscite un rire gêné, car elle tourne en dérision les grabataires de ces établissements. Et on peut dire que Harmony Korine y va à fond. On risque de voir resurgir les débats suscités par la série Les Deschiens ou par le Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont dans lequel il faisait jouer des handicapés. Personnellement, j’aime la mise en œuvre d’un certain malaise au cinéma, dont les maîtres me semblent être Lars Von Trier et Ruben Östlund. Ce début m’a donc bien accroché.


Les deux nouveaux amis se retrouvent à la terrasse d’un café. Depuis quand fait-elle Marylin ? Depuis qu’elle a des nichons, pardi ! Michael Jackson, c’est une gestuelle, Marylin, une paire de seins : voilà dans quel contenant se projettent leurs sosies. On se doute qu’il pourrait y avoir un mal-être quelque part. Pour l’heure, Marylin parvient à convaincre Michael de la rejoindre dans une joyeuse communauté, exilée dans les « Highlands ». Travelling arrière abandonnant le couple au fond d'une allée de ce parc parisien, puis notre héros fait ses adieux à sa chambre de bonne. Un peu plus tard, les deux parviennent en barque aux abords d’un château enchanté.


Enchanté, tout l’est dans ce havre de paix. L’accueil festif qu’on réserve au nouvel hôte, le travail joyeux au jardin, les bains de boue où l’on trinque, les moutons traités comme des compagnons. Harmony Korine a vêtu les protagonistes de couleurs vives, évoquant les contes de fées. Voilà qui devrait ravir Michael Jackson, dont l'original souffrait du syndrome de Peter Pan, et qui vivait entouré d'enfants. Ceux qu'on voit sont assez atteints, un enfant noir qui se fantasme en poulet, une jeune fille qui marche sur une voix ferrée.


Chez les adultes, on trouve Abraham Lincoln, le pape, James Dean, la reine Elisabeth, Laurel et Hardy, Sammy Davis Jr, Madonna… et puis Charlot, le mari de Marylin, incarné par le toujours rugueux Denis Lavant. Avec sa femme les échanges sont tendres, mais la plantureuse blonde vit comme un viol toute approche physique. Cause du drame qui va suivre ? La pendaison de Marilyn n'aura guère été étayée : peut-être une faiblesse du film, donnant l’impression que Korine a avant tout voulu faire « un coup », impressionner le spectateur par le contraste d’une scène – au demeurant fort belle, éclairée à la lampe de poche. Bien sûr, on sait que Marilyn se suicida... Un peu court tout de même à mes yeux pour justifier l'événement traumatique que Korine insère dans son récit.


En tout cas la Marylin du film, insatisfaite sur le plan physique, est attirée par le jeune Michael. Dans une belle scène, où Samantha Morton est aussi ardente que pouvait l’être Marylin, la jeune femme partage une fraise avec Michael, et c’est comme s’ils s'étaient embrassés passionnément.


Mais on sent confusément quelque chose de forcé dans cette vie de rêve, qui ne va pas tarder à être rattrapée par la réalité.


D’abord lorsqu’on découvre un mouton malade. Les autorités sanitaires sont dépêchées sur place, demandent qu’on élimine tout le troupeau. Tous ces sosies ont beau vivre dans le fantasme, ils assument, eux, ce qui se passe, en exécutant au fusil les moutons plutôt que de leur injecter une substance létale. La façon de faire de notre monde n’est-elle pas extraordinairement hypocrite, usant du même procédé pour donner la mort et pour soigner ? La troupe refuse ce faux semblant. Comme l’a signalé une plume de SC, il y a quelque chose des Idiots - l’un de mes Lars Von Trier préférés - dans la description de cette communauté en vase clos et sa dénonciation du monde « normal ».


Ensuite, lorsque la troupe monte un spectacle. Vu le temps que consacre Korine à mettre en valeur ce show très kitsch, sur l’air de Cheek to Cheek, je m’attendais à ce que la salle soit vide. Presque : une poignée de spectateurs applaudit sans enthousiasme. Abattu dans un premier temps, la troupe retrouve un peu d’allant, reprenant le tube d’Irving Berlin dans le noir (avec l’une des voix dans une autre tonalité, j’adore toujours ça). Jusqu’au drame, qui signera le retour de Michael au bercail.


Dreams are my reality, auraient pu chanter nos sosies. C’est sur ce point que Korine décide d’établir un parallèle avec une communauté missionnaire en Amazonie. L’occasion d’une scène assez délicieuse de confession d’un chaud lapin par le missionnaire ! Dans cette communauté tout aussi enjouée que l’autre, seule compte la foi : on joue au volley ball sans ballon. Et, lorsqu’au cours d’une livraison de sacs de riz en avion l’une des sœurs tombe dans le vide, sa prière la sauve. Dès lors, le miracle se propage, atteignant même les oreilles du pape, le vrai, pas celui qui pue !, forcé d’attester la réalité du phénomène surnaturel. Mais, à la fin du film, tout le monde retournera sur Terre. Durement pour les sœurs. Pour Michael, ce sera un nouveau départ, peut-être enfin trouver qui il est vraiment au milieu d'une foule en liesse, célébrant la France championne du monde ? Pas sûr, car le film se clôt sur la scène d'ouverture...


Mais revenons au parallèle entre les deux communautés : il pourra sembler téléphoné. Je le vois pour ma part comme le genre de surprises que ménage le cinéma de Korine. On est intrigué, on se demande où il veut en venir. De fait, le cinéaste parvient à maintenir l’intérêt tout au long de son film. Certes, celui-ci souffre de quelques longueurs, en particulier plusieurs scènes au château, destinées sans doute à faire ressentir la solitude intérieure de chacun des sosies : Marilyn brûlée par un coup de soleil, Charlot qui soliloque, une partie de ping pong... On n'est pas toujours passionné. Quelques plans sont assez laids. Et le propos n’est pas non plus d’une originalité folle. Malgré tout, il y a assez à manger dans ce Mister Lonely pour m’inciter à continuer à cheminer avec ce trublion du cinéma américain indépendant.


7,5

Jduvi
7
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le 27 oct. 2021

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Jduvi

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