Opéra Rock et Théâtre Antique/Comprendre l'infortune de Mission Impossible 2

Il ne faut pas prendre pour acquis l'aura d'échec artistique qui s'est construite au fil des années autour de Mission Impossible 2. Il n'en a pas toujours été ainsi surtout en ce début de nouveau millénaire encore en queue de comète arty des nineties dominés par l'influence majeure des réalisateurs/clippeurs Tony Scott, Michael Bay ou Antoine Fuqua. La plupart étant issu de l'école* "Propaganda films"* où David Fincher a fait ses premières armes avec talent. Il n'est donc pas incongru de retrouver le chef opérateur de Tony Scott, Jeffrey L. Kimball **oeuvrer sur un film de John Woo**, sunlights, gélatines et filtres de circonstance. L'étoffe de ce second opus sera de se tenir à distance du techno-thriller initié par Brian de Palma en 1996 et d'établir chaque segment de la franchise dans un style unique constituant une identité formellement singulière. Et si cette personnalité monstrueusement graphique lui fait aujourd'hui défaut, c'est en partie à cause/grâce à son producteur emblématique, Tom Cruise, alors pris d'une ambition assez folle puisque des pointures comme David Fincher et plus modestement Joe Carnahan ont été envisagées pour des orientations stylistiques divers et variées. L'implication de JJ Abrams puis Brad Bird **confirme le niveau qualitatif de l'ensemble avant de se voir définitivement abandonné pour quatre métrages supplémentaires aux mains de **Christopher McQuarrie. Si on déplore la trahison du concept de construire autour de la forme et d'imposer un nouveau cinéaste, la classe intraspécifique de Rogue Nation s'offre le dernier lifting invisible propulsant la dynamique d'action au sein d'un espionnage chic et charme par l'entremise du personnage d'Ilsa Faust (Rebecca Ferguson) substitué à celui de* Grace *(Ayley Atwell) dans Dead Reckoning. Le retour au double féminin de Ethan Hunt qui apparaît comme un luxe que la série ne s'était pas encore offert, a pourtant eu lieu précocement dans la franchise. Nyah (Thandiwe Newton) s'impose intellectuellement et plastiquement sur le même terrain que Hunt devenant son double de l'opposit sex. Que l'on soit sur le plan de l'attraction sexuel ou sur celui du heurt des véhicules et des corps, les germes de Mission Impossible 2 s'expriment d'une manière plus classiques dans les opus actuels mais en ont donné un héritage du mythe que l'on ne peut nier. Tout s'amorce ici dans une Australie écrasée par un soleil de plomb, cadre d'une tragédie Grecque antique. Cette itération ne ressemblera à nulle autre du fait de son incarnation déifiee ainsi que de son périmètre scénique restreint.


La surinfluence de l'esprit McQuarrie en phase avec la vision très spécifique du cinéma de notre époque omet ce que les précédents auteurs de la saga ont enrichis de leurs connaissances du Septième Art. MI:2 s'est constitué pierre après pierre dans une dynamique de reconstitution de motifs cinématographiques: John Woo se réclame de la comédie musicale (ici les plans flamboyants de flamenco), des* Enchaîné*s d'Alfred Hitchcock (référence avouée) et d'une sorte de prisme (Sergio) Leonien contemporain. . À l'insu du spectateur et de fort belle manière, le Cinéma américain contemporain effectue la marche inverse et lisse en souterrain sa sophistication des précédentes décennies. - Disparition de l'astre solaire comme témoin du petit théâtre qui agitent les humains et poinçon de Tony Scott -. Il s'agit de réinterpréter les espaces urbains, le folklore des pays autrefois glamours et colorés dans un cadre composé à présent par un architecte sortant d'une école et non plus par un auteur artisan à la vision atypique. Mettre en corrélation Fallout et Mission Impossible 2 c'est opposer les angles saillants de l'art Gothique à celui tout en rondeur et en acceptation de L'art Roman. Dans la lutte opposant les styles, McQuarrie ne démérite nullement face à Woo. Cette approche néo-classique crée sa propre matière filmique sans apport conscient d'une quelconque référence antérieure. Si l'on ne peut décemment pas dissimuler l'éternelle contamination des forces Nolaniennes sur le paysage cinématographique de L'Oncle Sam, la patte **McQuarrie **coulée dans le moule du réalisateur d'*Interstellar *rend caduque toute croyance au passé du Septième Art et tire un trait sur cette volonté de s'inspirer des Grands Maîtres Européens. L'intention force le respect puisqu'elle se soucie de changer d'état la mise en scène mais elle perd en spécificité et en caractère à force de se mettre au niveau de son spectateur. *Mission Impossible 2 *conscient de ses forces et de son haut potentiel mythologique mise sur le récit épique et la nature profondément tragique du théâtre antique s'efforçant de fondre sa grandeur sur (entre autre) L'Illiade et L'Odyssée.


Définition de la Tragédie :


« Pièce de théâtre caractérisée par la gravité de son langage et une action menant à une issue fatale un ou plusieurs de ses personnages. (De ses origines, du temps de la Grèce antique, jusqu’à sa réinvention au xviie siècle par les auteurs français, la tragédie classique met en scène des personnages illustres empruntés à la mythologie et à l’histoire dans le but de susciter l’émotion et la catharsis. La tragédie moderne conte aussi la lutte désespérée d’êtres ordinaires contre un destin inéluctable.) »


Les fondements de L'Art Wooien reposant sur une tonalité déchirante depuis *A better tomorrow *et The Killer ainsi que la dualité masculine dont le taux de mélodrame échappe constamment au public occidental trouve un réceptacle idéal chez** Homer** mais aussi dans Phèdre ou* Antigone*. MI:2 naît de cette fusion culturelle passionnante où seul un cinéaste asiatique serait capable de mettre en scène un film d'action aux relents de tragédie Grecque. Réduit à des enjeux centrés autour d'amour, de guerre et de trahisons, le scénario ne s'embarrasse pas de construire ses deuxièmes lignes de personnages pour se concentrer sur ses figures centrales. Ethan Hunt et Sean Ambrose (Dougray Scott) ex-frères d'arme au sein de L'IMF incarnent autant la figure Romaine du Dieu *Janus *que Romulus et Rémus ou encore les Frères ennemis Étéocle et Polynice créés par Sophocle. **Après tout, *Castor et Pollux Troy *avaient ouvert la voie dans le chef d'oeuvre *face off *et le challenge suivant était d'y retranscrire le genre par voies mythologiques autant littérairement que plastiquement parlant. Dans cette mesure, le quartier général de *Sean Ambrose *évoque L'Olympe de Zeus au même titre que l'on peut y voir une demeure d'Ithaque frappée par les flots de la mer Égée. Si les Grecs ont su si bien donner vie à des divinités par les récits, John Woo** et Tom Cruise reproduisent cet élan artistique en donnant aux figures de* Mission Impossible* le soin d'investir le corps des Dieux/Héros car on parle de beauté féminine mais aussi masculine ainsi que de performances physiques lors de corps à corps. Il n'y est d'ailleurs même plus question de symbolique lorsque l'arme bactériologique suprême est appelée littéralement *La Chimère *(une créature issue de l'hybridation d'un Lion et d'une chèvre) et de son antidote, *Le Bellèrophon *(Un Roi de Corinthe responsable de la mort de la Bête). L'Illiade reste une source citée à plusieurs reprises et l'infiltration de Nya chez Sean en préambule de la mission capitalise sur l'épisode du Cheval de Troie.


Troisième Homme derrière Tom Cruise et John Woo, Hans Zimmer **amène à ébullition une partition aux sonorités métalliques aidées dans le second acte de la voix cristalline de **Lisa Gerrard, contralto dramatique**. Soulignée par une envolée lyrique, la scène où *Nyah *s'injecte le sérum laisse *Hunt *désemparé, ce dernier lui assurant pourtant son retour. Les Amants se séparent sous un flot d'étincelles au coeur d'un climax musical qui ne peut être assimilé qu'à un Opéra Rock. L'idée est de créer un décalage artistique entre les choeurs et les accords de guitare. Une dissonance que l'on retrouve dans le caractère moderne du film d'espionnage transposé ici dans la Grèce Antique. C'est un peu la constante de *MI:2 *de donner une couleur différente à chaque acte. **Zimmer **compose sa propre version de* Ô Fortuna* de **Carl Orff qui ouvre et ferme le célèbre *Carmina Burana *lors de la scène des masques dans un bunker. Une réinterprétation d'un classique suivie par une autre beaucoup plus ancrée dans son époque puisqu'il s'agit du célèbre thème de la série composé par Lalo Schifrin couvert, ici, par "une rage mettaleuse".


De la même manière que Top Gun et Jour de Tonnerre dans la carrière du producteur/acteur,* MI2* est une borne dans la franchise Mission Impossible. L'excès de personnalité de Woo, l'ego trip de Cruise et le jusqu'au-boutisme de Zimmer auront coûté sa crédibilité face aux derniers volets nécessairement plus calculés dans une idée de Cinéma classique et rangée. Ce segment marque la fin d'un art fait à l'instinct. La saga saura-t-elle y revenir avec des auteurs de choix ?

Star-Lord09
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le 30 juil. 2023

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