1973 — Le chaos dans les rues de Santiago

Plus que l'histoire vraie au cœur du film que Costa-Gavras souhaite retranscrire, sans doute beaucoup moins admise comme "vraie" à l'époque cela dit, c'est l'ambiance étouffante se dégageant des quartiers de Santiago sous contrôle militaire qui me semble être la véritable réussite de Missing.


Le 11 septembre 1973 éclate au Chili le coup d'état aujourd'hui bien connu, dans son organisation à l'intérieur des frontières nationales comme dans son soutien de la part de pays extérieurs assez peu friands de la politique menée par Salvador Allende. Mais assez habilement, Costa-Gavras refuse de raconter l'histoire de manière scolaire, frontalement, didactiquement, pour se concentrer sur une atmosphère, sur des conséquences secondaires, sur les mécaniques diplomatiques à l'œuvre durant cette étape de transition à marche forcée. Le travail de montage est très efficace à ce niveau-là, pour combiner les différents rapports à la réalité, pour exprimer les différentes temporalités du récit qui s'éclairent mutuellement. Rien n'est véritablement explicité, tout est dans l'évocation, l'allusion, la suggestion toutes plus ou moins distantes. D'un côté l'histoire d'un pays, et de l'autre celle de Charlie Horman, un journaliste américain assassiné comme beaucoup d'autres durant le coup d'état. D'un côté une réflexion politico-historique, et de l'autre un drame familial, intimement liés. D'un côté l'enquête, de l'autre le chaos.


Des conseillers américains en pagaille sur le sol chilien, des ambassades qui ne font pas exactement le travail qu'on attend d'elles, des stades reconvertis en prisons géantes, des rues infestées de militaires, des entreprises américaines solidement installées au lendemain du coup : autant de façons indirectes de retranscrire une page brûlante de l'histoire sans jamais citer le nom de Pinochet. C'est un cinéma que l'on pourrait qualifier de contestataire, dans la suite logique de films comme Z, L'Aveu, ou encore Section spéciale, attaché à la mise en évidence voire la dénonciation des exactions du régime militaire, d'une part, et d'autre part de l'ingérence manifeste du gouvernement américain de Nixon (son portrait est omniprésent sur les murs et les bureaux des bâtiments officiels).


Le film emprunte également la voie du drame familial en se focalisant sur les recherches organisées par la femme et le père de Charlie, déambulant d'hôpitaux en bureaux, de prisons et morgues, en quête d'informations sur le disparu. Leur prise de conscience sera lente et douloureuse, et il faut rendre hommage au très bon travail de Jack Lemmon et Sissy Spacek dans ce registre. La partie liée à l'apprentissage de l'amour filial de la part d'un père distant et méprisant n'est pas vraiment très perspicace (elle est d'ailleurs parfois appuyée par une musique d'assez mauvais goût), mais elle offre un bon contrepoids émotionnel au réalisme éreintant de l'ambiance martiale qui règne dans les rues de la capitale chilienne. Comme un équilibre soigné entre le documentaire (relatif) et la fiction. En tous cas, le sentiment de la répression qui pénètre tous les interstices de la vie quotidienne au lendemain du coup d'état devient on ne peut plus palpable, tout en jouant la carte d'une certaine pudeur : c'est un résultat très surprenant et, à ce titre, très appréciable.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Missing-porte-disparu-de-Costa-Gavras-1982

Créée

le 15 avr. 2017

Critique lue 396 fois

7 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 396 fois

7

D'autres avis sur Missing - Porté disparu

Missing - Porté disparu
Jambalaya
9

Sourde colère

Si Costa Gavras peut énerver aujourd’hui par sa tendance à grossir le trait des sujets qu’il traite jusqu’à la caricature, il fut une époque où ces films ressemblaient plus à la démonstration d’une...

le 28 juin 2013

32 j'aime

10

Missing - Porté disparu
Sergent_Pepper
8

Les fragments sont éternels

Au début des années 80, Costa Gavras est déjà bien ancré dans le cinéma politique et engagé. Sa trilogie de la dictature à ouvert la décennie précédente, et il présente à Cannes un brûlot sur le coup...

le 15 avr. 2020

31 j'aime

2

Missing - Porté disparu
Docteur_Jivago
8

Voyage initiatique

Premier film qu'il tournera avec des fonds hollywoodiens, Missing permet à Costa-Gavras d'aborder l'histoire vraie de la disparition d'un journaliste américain suite au coup d'État d'Augusto Pinochet...

le 3 oct. 2016

25 j'aime

3

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11