Derrière la façade

Beaucoup n'y verront (à juste titre) qu'un petit divertissement à la mode des années 50, comme il en existe des quantités.
Mais d'une part, "Minuit, quai de Bercy" est rudement bien fichu dans son genre.
Ensuite, le réalisateur Christian Stengel et ses scénaristes sont parvenus à me bluffer sur le dénouement et sur l'identité du coupable - et c'est la seconde fois, après "Seul dans la nuit", sorti une dizaine d'années plus tôt!

Enfin, et surtout, le film est traversé d'une audace et d'une liberté de ton aussi étonnantes que rafraîchissantes en ce début d'années 50, que l'on n'oserait pas même imaginer dans un film américain de la même période.
Pensez donc, on nous présente un immeuble parisien dans lequel la concierge est nymphomane, l'épicier obsédé sexuel, l'aïeule alcoolique, le masseur équivoque, et j'en passe.

Stengel décrit une ville où les professeurs de latins couchent avec leur très jeunes élèves, les prédicateurs cèdent à la luxure, les petites filles finissent écrasées sous une voiture, et où les grands notables s'acoquinent avec des femmes de vingt ans leur cadettes.
Comble de l'impudence, ce même "président" et sa jeune conquête assisteront à un improbable spectacle de strip-tease à la mode far west, dans lequel l'effeuilleuse finira seins nus!

Evidemment, toutes ces audaces n'auraient que peu d'intérêt si le film était mauvais.
Tout en restant classique dans sa structure de polar "whodunit", et en dépit de quelques maladresses, "Minuit, quai de Bercy" s'avère au contraire une jolie réussite, grâce à son scénario bien construit, ses personnages bien écrits et son interprétation convaincante.

Christian Stengel peut en effet compter sur une riche distribution, dominée par une Madeleine Robinson impeccable en voisine modèle et Sherlock Holmes en jupons.
Francis Blanche en commerçant libidineux et Erich Von Stroheim en évangéliste fanatique en font sans doute un peu trop, tandis que Lysiane Rey excelle en garce intégrale, et que Georges Randax, comédien belge plus habitué au théâtre, est une sympathique découverte.