MICKEY AND THE BEAR (Annabelle Attanasio, USA, 2019, 89min) :


Une ode à la liberté, un épatant portrait doux amer d’une Amérique patriarcale, vu à travers le destin d’une jeune femme vivant sous le joug de son père, incarnée par la révélation Camila Morrone.


Pour son premier long métrage, présenté à l’ACID, au Festival de Cannes 2019, Annabelle Attanasio livre une chronique sociale poignante qui narre une relation fusionnelle et toxique entre Mickey, une jeune fille obligée de jouer le rôle de maîtresse de maison dans un mobile-home du Montana, et son père Hank, atteint du syndrome de stress post-traumatique après son retour de la guerre en Irak, et la mort de sa femme. Malgré un récit convenu, souvent abordé par le cinéma indépendant américain, la metteuse en scène apporte une touche personnelle à travers une mise en scène rigoureuse et naturaliste où chaque plan est bien réfléchi, aussi bien par le sens du cadre que par sa composition lumineuse ou colorée.


La réalisatrice, au plus près de son héroïne, dessine des brillants portraits sans jamais verser dans le misérabilisme, par le biais d’une écriture adroite tout au long du chemin initiatique de Mickey qui tente de subvenir aux besoins financiers du foyer en travaillant chez un empailleur d’animaux, et aux ravitaillements en médicaments auprès des psys, dont son père a viscéralement besoin. Malgré sa condition d’étudiante, l’horizon semble semble figé pour Mickey, enracinée dans ce morne destin qui la condamne à rester éternellement dans les griffes de son père bourru et sauvage.


Annabelle Attanasio filme avec acuité cette ville qu’elle connaît bien, emplie d’enseignes et de néons d’un autre temps, comme si le désespoir avait aussi résigné l’horloge du temps au cœur de cette petite cité rurale aux âmes perdues. Un lieu à l’atmosphère morne, aux rues désertiques, où, comme pour Hank depuis son retour de guerre et la mort de sa femme, le sablier du temps semble s’écouler lentement, entre prises d’anxiolytiques et verres d’alcool, avant sa propre mise en bière.


La cinéaste a tourné à Anaconda, et utilise parfaitement ce cadre de survie pour montrer le patriarcat quotidien, et la relation très ambiguë que le père inocule dans sa dépendance affective avec sa fille, devenue lors de certaines crises, sa deuxième femme. La caméra capte ce malaise comme une étreinte du serpent qui empoisonne toutes les velléités de libertés de Mickey. Les rares instants de tendresse n’effacent pas les nombreuses séquences de tensions chaotiques et de violences, à mesure que son adolescente tente de vivre sa propre vie de jeune femme. Une tragédie familiale qui évoque doublement en nous le cinéma de sa consœur Debra Granik, à travers Winter’s Bone (2010) et Leave no trace (2018), mais dont Annabelle Attanasio se libère en insufflant des vibrations intimes singulières au sein des fausses pistes narratives.


La cinéaste s’appuie également sur la justesse d’incarnation de ses interprètes, notamment la stoïcienne et lumineuse Camila Morrone – une révélation dont la carrière devrait décoller après ce magnifique rôle – pour décliner cette troublante histoire anxiogène, et l’émancipation d’une fille devenue femme trop tôt.
Venez soutenir ce précieux cinéma indépendant américain, et Mickey Peck dans son désir d’envol au sein de Mickey and the bear. Épuré. Vibrant. Rugueux. Touchant.

seb2046
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le 17 févr. 2020

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