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J'aurais pu choisir "Time is luck", ou encore le très beau "It's a talk of a man" asséné par Sonny à Isabella alors que celle-ci l'accuse de la surprotéger. Le cinéma de Mann, après tout, parle surtout par aphorismes, par un motif tissé de mantras qui condensent la vérité pour la faire éclater dans l'image par la suite, comme une dernière respiration avant une plongée définitive dans l'existence, sans protection ni filet. Ces paroles incantatoires, prononcées par des personnages qui prennent en main leur destin et se hissent à sa hauteur, se dispersent alors avec une accélération centrifuge qui transforme tout ce qu'elles touchent et illustrent en une sorte d'incarnation d'absolu.


Il n'y a rien de plus grand que l'homme, s'il se saisit complètement de sa vie. C'est sans doute pour cela que Mann, qui ne s'est jamais intéressé dans ses meilleures réussites qu'à des êtres exceptionnels, infuse dans les relations entre ses personnages et dans la relation de ceux-ci à la vie une intensité sans commune mesure. Il est donc curieux de voir ses contempteurs lui reprocher précisément une mollesse dans son écriture, une absence de synergie avec les personnages ou un vide émotionnel. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le geste de Mann comporte un haut degré d'abstraction, et que l'émotion ne se véhicule pas au premier plan, qu'elle transite à travers le filtre particulier de la force des personnages qui la portent en eux.


Effectivement, il n'y a pas d'effusions outrées, très peu de larmes, et le duo principal ne livre que très peu de lui-même. D'une part c'est parce que Mann sait très bien protéger les protagonistes de son récit de la désincarnation, n'en fait jamais de vulgaires puits à émotion livrés là, sur le pavé, pour le plaisir cathartique d'un spectateur qui attend, la bouche ouverte, que le cinéaste lui donne la becquée. Non, le réalisateur de Heat, qui signe sans doute ici son chef-d'oeuvre (mais j'ai l'impression de le dire à chaque film), préserve ses personnages en les retranchant dans une une sphère qui leur est propre, les fusionne totalement à un univers qui s'écoule en un flux dont ils sont le cœur palpitant. Et c'est là, dans cette demi-distance, que peut se réaliser le miracle d'un vertige sans cesse réanimé qui va et vient entre le plan lisse du script et la profondeur insondable de la diégèse du film, c'est-à-dire de tout ce à quoi il sait faire appel en termes d'images.


Mais surtout, la (toute relative) froideur de surface des protagonistes est celle de gens qui ont déjà compris la victoire à venir du destin, bon ou mauvais. The odds catch up. Loin de faire de cette inéluctable défaite une tragédie, ils s'en servent pourtant comme d'une arme, non seulement pour raviver la flamme d'instants éphémères qui s'intensifient jusqu'à la brûlure, mais comme d'un négatif sur lequel ils projettent leur force pour mieux se recentrer en eux-mêmes et y trouver un absolu. On n'échappera pas à la fatalité, on le sait. On sera séparés, mais qu'importe ? On aura vécu, d'une part, et si la vie peut tout nous arracher, c'est déjà le signe de tout ce que nous avions gagné sur elle par avance.


C'est donc sans doute parce qu'ils subliment leur douleur en un regain de vie, parce qu'ils savent ce que la vie contient en puissance et que c'est de cette dialectique du gain et de la perte (l'emploi du vocabulaire des jeux n'a sans doute rien d'anodin) que naît la beauté, que les personnages sont si forts et montrent si peu de failles. Ce traitement presque irréel des personnages, c'est celui d'un monde où la vie atteint un paroxysme, un monde qui n'a plus cours dans la normalité, un monde où l'image dessine à chaque instant dans ses tons bleutés et la prégnance de son morphisme formel comme un million de mirages incarnés et évanouis. Un monde de la rupture, où tout ce qui peut faire de nous des hommes et des femmes est ressenti si intensément qu'il paraît s'apprêter à disparaître, comme ces corps qui se fondent par un jeu de focales dans le décor éblouissant de Miami. L'individualité qui se réalise si pleinement qu'elle se détache dans une osmose au tout. Parce qu'il y a toujours, dans l'image la plus absolue et la plus saisissante de notre existence, comme un parfum de la mort dont nous venons tous, et qui nous rend vivants.

Kloden
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le 23 déc. 2017

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