Ô vide, au présent... Ça pouvait trop le faire !

Et si on donnait à ressentir ce que tout bon romain a du vivre intensément à l'aube christique du crépuscule républicano-impérial -et antique- au premier siècle de notre ère ? On racontait alors sans doute les frasques de Zeus rajeuni en Jupiter comme l'on aurait décrit celles de nos politiques frétillants tambourinant dans leurs casseroles... Non !? Et les dieux se seraient promenés parmi nous, nonchalants, cherchant tour à tour le désir, la vengeance, la renommée, le pouvoir, la reconnaissance, la gloire, la tendresse et bien d'autres sentiments tellement humains, mais si déroutants et parfois... incompréhensibles ou intolérables...

Peut-être Christophe Honoré a-t-il donc souhaité recontextualiser les mythes forgés durant des millénaires. Peut-être voulait-il nous replonger dans une nature propice à tous les animismes, à deux pas de la civilisation, dans l'espoir de les faire vivre à l'écran, et dans l'esprit du spectateur, avec la même force que s'il avait été un enfant de Rome... Avec autant de force poétique qu'Ovide en son temps... Visuellement, c'est parfois assez réussi : les plans de barres d'immeubles de banlieue ou de bords d'autoroutes s'alternant avec des plans d'abris sous roches ou de rivières et de lacs vertigineux, baignés d'une belle lumière méditerranéenne.

Ça se gâte lorsque l'on s'attarde sur les personnages. Les dialogues sont quasiment inexistants. Ils sont d'ailleurs volontairement inexistants. Ils se limitent en fait à deux-trois mots permettant à chacun des protagonistes de révéler son identité divine ou semi-divine... Là est un énorme paradoxe : Christophe Honoré semble vouloir jouer la carte du minimalisme, et pourtant, il en raconte trop... en silence, et en images. On sait déjà tout de ses personnages*. Inutile de chercher à deviner qui était Io, qui sera Narcisse, qui sera Orphée. Les dieux eux-mêmes se trahissent les uns les autres, en "spoilant".... Hum... disons plutôt en dévoilant -pour éviter les néo-barbarismes- tout des aventures de leurs anciens camarades du collège Olympe. Jeunesse trop empressée de balancer ses secrets, à l'image de Vénus recherchant une vengeance expéditive pour avoir confié trop vite ses pommes d'or à Hippomène...
Mais alors pourrait-on être tentés d'aller un peu plus loin, d'en apprendre un peu plus, de chercher à comprendre leurs desseins ? de cerner leur psychologie !? Impossible :

Volonté de direction d'acteur, ou choix délibéré de recruter exclusivement des acteurs non-professionnels, ou autre chose encore ? Il semble que l'on ait demandé à ces malheureux lycéens de tout faire, sauf jouer. ils récitent simplement un texte sans aucune conviction. Ils déambulent dans le cadre comme des ados réduits après les cours à l'état de mollusques par un prof de philo particulièrement soporifique.

Autour de quelques dieux pourvus d'un charisme de bigorneau -ou désespérément blasés après plus de vingt siècles passés à contempler de loin les ravages des monothéismes, qui sait- s'agitent quelques hordes de nymphettes dénudées -piètres bacchantes à côté d'un odieux Bacchus, le seul rescapé de l'olympe à en imposer un peu- ou quelques disciples sans réels gourous... tant Orphée oublie de subjuguer ses auditoires. Les corps nus perdus dans les décors bucoliques façon peinture néo-classique peinent à suggérer le divin dans les actes. Exit la tragédie humaine. Ne reste que le tragique grandiloquent de la tentative.

Et donc, les métamorphoses ? Et donc, rien. Un clip de luxe pour classe de terminale option cinéma, peut-être ? Je vois d'ici le tableau. Extrait d'une conversation de couloir, juste avant le cours de maths : "Qu'est-ce qu'on pourrait adapter qui passerait aux yeux de la prof de lettres, et du proviseur, bien sûr, tout en nous permettant un méga délire "à oualpé" ?"
"-Vas-y : Ovide, c'est trop trash, il y a même plein de meufs et des trans !"
"-Tu l'as lu !?"
"-Non, mais j'ai le résumé commenté, c'est un pote qui est en fac qui l'a fait l'an dernier... Il me l'a refilé."
"-Attends : j'ai un super plan : j'ai un oncle à moi, il est réal... Connu... Il fait des trucs..."
"-Des films ?"
"-Ouais, c'est ça, des films !"

"Ça pouvait trop le faire", Ô vide au présent...



*Si on l'a lu, ou si on s'intéresse un minimum à la mythologie gréco-romaine... On peut faire l'impasse sur le film. Et si on ne connait strictement rien de tout ça... On peut aussi faire l'impasse sur le film. En résumé on peut... simplement faire l'impasse sur ce film : de toute façon, il ne sera pas au programme cette année !
Pacomm
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le 9 oct. 2014

Modifiée

le 14 oct. 2014

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Pacomm

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