J’aime le contre-courant parfois, en plus ça donne un air rebelle, ça fait cool. Par exemple, les deux premiers films de Christophe Honoré, 17 fois Cécile Cassard et Ma mère, sont majoritairement considérés comme ses moins bons, ses moins sympathiques, et Honoré à réellement commencer à éblouir sa cour avec La belle personne et Les chansons d’amour (bien qu’Homme au bain et Les bien-aimés l’aient, depuis, fait redescendre sur Terre). C’est donc l’inverse pour moi (contre-courant, air rebelle, tout ça). À partir de Dans Paris, j’ai rejeté Honoré, j’ai rejeté ses films unanimement adulés et ses foutus passages chantés/ânonnés/déprimés qui me hérissent le poil et cette espèce de préciosité bobo qui les rendent aussi horripilants qu’un hipster avec ses espadrilles de chez Colette, ses airs supérieurs et sa barbe de djihadiste.

Aucune condescendance dans mes propos (vraiment ?), juste une constatation. C’est comme ça. C’est comme ça la vie, les goûts, les couleurs, les flonflons, la fête, une bière et l’addition. Je déteste Les chansons d’amour. Et j’adore Ma mère. J’adore Huppert en maman cochonne, très salope. Ou Duris en folle et Dalle en deuil dans 17 fois Cécile Cassard. Donc un jour, Honoré se réveille, boit son café et décide d’adapter les Métamorphoses d’Ovide qui, dit-on, avait un fort grand nez. Soit. Vu quand même le sacré morceau (presque 12 000 vers répartis en quinze livres, genre Encyclopædia Universalis), Honoré tranche, Honoré hache menu.

Et transpose le tout de nos jours avec de jolies filles et de jolis garçons ramassés dans la rue (et qui "jouent" comme je déclamerai du Plutarque sur scène à Avignon) en les foutant à poil dans la nature ou au bord des autoroutes, des baskets aux pieds. Le plus dingue, c’est que ça marche. Ô surprise fantasque, ô moi qui partais pour honnir Honoré à nouveau… Alors bien sûr il y a à boire et à manger, des fulgurances et des ratés, de l’audace et des vieux tics, des parti-pris et des poses arty. On ne peut décemment pas blâmer Honoré sur le fait qu’il veuille au moins tenter des choses, s’essayer à un cinéma qui prend d’autres chemins, pas balisés, vierges de facilités et de compromis.

Les multiples transformations (en cerf, en génisse, en paon, en roseaux, en arbres, en lions…) sont suggérées, évoquées par de simples successions de plans, raccords invisibles qui puisent directement leur force d’évocation dans nos petites têtes. Dieux, demi-dieux et mortels se font l’amour et la guerre, passent leur temps à s’étreindre ou à se faire du mal, à vouloir exulter dans les tourments du monde. La relecture d’Ovide par Honoré confronte les mythes fondateurs de la Grèce antique (tout le monde y passe : Jupiter, Europe, Io, Pan, Orphée, Narcisse, Bacchus, Tirésias, Hermaphrodite, Hippomène, etc.) à un réel ancré dans les périphéries françaises, son béton et ses cités, ses forêts alentour, ses rivières et ses pylônes électriques.

Cette confrontation n’apporte d’ailleurs pas grand-chose en soi, aucune perspective sociologique sur notre condition et nos époques, permettant à Honoré, plus trivialement, d’illustrer les poèmes d’Ovide, ses merveilles et ses barbaries, avec gourmandise (visages et corps nus magnifiés dans la beauté du bel âge) et de mettre en scène, avec beaucoup de liberté et d’élégance (imbrication claire et précise des récits, bande-son qui mélange mélodies classiques et pop éthérée, photo lumineuse d’André Chemetoff), les mécaniques primaires de la passion et du désir, celles qui, depuis toujours, agitent nos carcasses de bêtes constamment en appétit, de cul, de découvertes et de vieux rêves qui bougent.
mymp
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le 8 sept. 2014

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