Médée est un très grand film sur la magie, et le revoir à l’heure où les super-héros en tout genre ont envahi l’écran rappelle à quel point la représentation de la magie s’est aujourd’hui appauvrie et homogénéisée. Car Pier Paolo Pasolini met en scène une magie sacrificielle, entendue comme sacrifice d’une victime qui se donne tout entier à sa divinité, entendue également comme don de soi d’une femme à la magie qu’elle pratique, dont elle est l’exécutrice. Et le statut particulier qu’occupe Médée dans la société colchidienne ne va pas sans l’évocation des difficultés à exercer ses pouvoirs : douleurs physiques et mentales, transes épuisantes, démembrement de la victime avec partage de ses organes et de son sang. Le long métrage constitue à lui seul une initiation pour son spectateur : la musique de type tribal construit une atmosphère pesante et anxiogène, la caméra du cinéaste suit au plus près des personnages le déroulement des cérémonials, l’image est poussiéreuse, presque sale, le montage confère à l’ensemble un rythme brutal.


Mais surtout, ce que réussit formidablement bien le film, c’est à montrer que la magie se conditionne à un espace donné, à une culture et à une idéologie. « Cette peau de bélier n’a plus de sens hors de son pays », indique la magicienne. Le royaume de Corinthe n’a que faire des pouvoirs de la toison ; ce qui l’intéresse, c’est sa valeur d’objet, c’est de posséder un symbole et l’or qu’il est censé porter, alors même qu’il s’agit là d’une imposture ; Médée reconnaît d’ailleurs que l’aspect doré de la toison résulte d’un travail préparatoire, d’ornements en vue du culte. Il n’y a pas de magie universelle, il ne peut y avoir que des magies locales, communautaires en ce sens où elles rassemblent autour d’elles une communauté de croyants. Preuve à l’appui, la magie que l’on greffe à un corps étranger, en l’occurrence à une autre société, se transforme en magie noire, en maléfice et sert à venger un amour transgressé, déçu, blessé : Glaucé prend feu avant de se jeter du haut des murailles.


Campé par une Maria Callas impériale, dont il s’agit ici de son seul rôle au cinéma, Médée est une œuvre envoûtante et rugueuse qui atteste l’appropriation de Pasolini d’un matériau antique dans lequel il puise ses thèmes de prédilection.

Créée

le 30 avr. 2020

Critique lue 260 fois

4 j'aime

3 commentaires

Critique lue 260 fois

4
3

D'autres avis sur Médée

Médée
soma
9

Médée

Le film reprend plusieurs moments phare du mythe de Médée et Jason, principalement sur le premier et dernier acte de la toison d'or. Ainsi l'histoire démarre sur une ile où Jason enfant et recueilli...

Par

le 3 mars 2011

19 j'aime

4

Médée
David_L_Epée
9

Une oeuvre européenne et païenne

Le retour en grâce du péplum depuis quelques années, avec son intérêt pour les sujets antiques et mythologiques, ne nous vaudra jamais que des pâles répliques des œuvres de la première vague du...

le 14 juil. 2015

14 j'aime

Médée
LongJaneSilver
6

Perplexe.

Le cinéma de Pasolini me laisse complètement perplexe : sans doute parce qu'il me fait toucher aux limites de ce que je peux voir et ressentir, sans doute parce qu'une part de moi ne le comprend pas...

le 31 mars 2014

8 j'aime

1

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14