De battre son cœur s'est arrêté...

MÉDECIN DE NUIT (Élie Wajeman, FRA, 2020, 82min) :


La surprise intense de la Sélection Cannes 2020 provient du puissant Médecin de nuit de Élie Wajeman. Une déflagration de 82 minutes à vivre en compagnie d’un médecin de nuit mi-ange mi-démon, qui se penche sur le sort des toxicomanes, et dont la chaotique vie familiale et conjugale va l’entraîner à travers une nuit incertaine, où il va devoir sceller sa destinée.


Brillant réalisateur déjà remarqué par Alyah (2012) et l’élégant Les Anarchistes (2015), l’auteur atteint les sommets du genre « film noir » avec ce troisième long métrage. Cette œuvre taillée à la serpe entraîne le spectateur à l’intérieur d’un tourbillon émotionnel, dont il ne sortira qu’en titubant après une ronde de nuit rarement déclinée de la sorte dans le cinéma français. Élie Wajeman réussit la prouesse de dévoiler par petites touches un dense récit sur le fil du rasoir en 1h22m de justesses à tous points de vue. La narration divulgue une intrigue âpre où la noirceur côtoie l’humanité, la lumière s’affranchit des divers trafics, alors que les amours se désagrègent ou fusionnent à travers divers élans instables.


La mise en scène au cordeau, telle un nœud coulant, enserre tous les protagonistes, dans une quête désespérée d’un horizon plus apaisé, alors qu’après chaque nouvelles situations tendues la voie se resserre autour d’eux, comme pris à la gorge. Au cours de cette virée cinématographique la caméra ausculte avec précision les pulsations intimes d'un Paris rarement présenté ainsi : aussi bien par le biais de ses malades qui font appel d'urgence aux services médicaux nocturnes, qu'à travers ses âmes errantes qui peuplent ses rues au milieu de la nuit. Le cinéaste dresse également un fiévreux portrait ambigu de ce médecin dévoué envers ses patients, et à la marge de l'éthique de la déontologie médicale vis à vis des toxicomanes (délivre notamment du Subutex par le biais de fausses ordonnances). Un homme faillible incarné de manière viscérale et stupéfiante par un épatant Vincent Macaigne (interprétation dont on reparlera aux César 2022), bien épaulé par les impeccables Sara Giraudeau, Pio Marmaï et Sarah Le Picard.


Cette spirale implacable où l'humain chancelle évoque l'esprit d'un scénario à la Paul Scharder, l'inéluctabilité de L'Impasse (1993) de Brian de Palma ou encore le remarquable De battre mon cœur s'est arrêté (2005) de Jacques Audiard. La captivante bande son sensorielle de Evgueni et Sacha Galperine transcende ce drame intime immergé dans le polar. Médecin de nuit se ressent comme un véritable uppercut dans l’abdomen et un gros coup porté au cœur. Saisissant. Fiévreux. Bouleversant.

seb2046
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le 27 oct. 2020

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