May December
6.5
May December

Film de Todd Haynes (2023)

Inspiré de l’affaire Mary Kay Letourneau, un fait divers retentissant ayant fait les choux gras des tabloïds dans les années 90, May December opère une double mise en abîme. Julianne Moore est Gracie, personnage inspirée par Letourneau, qu’Elizabeth (Nathalie Portman) va incarnée dans un futur film.

Ce jeu de miroir entre fiction et réalité offre un terrain idéal à Haynes pour déployer une comédie dramatique piquante et parfois outrancière pour le plus grand plaisir de ses deux actrices. Elles s’en donnent à cœur joie dans ce qui s’avère être un étonnant soap camp. Le réalisateur américain nous ayant plutôt habitué à de grands mélos classieux et pudiques empreint de classicisme, on aura compris qu’avec May December, le réalisateur souhaite faire un joli pied de nez à sa filmographie passée. Si sa mise en scène est riche de nombreux plans malins, en particulier ceux jouant sur le reflet et le mimétisme, elle est moins « propre » qu’habituellement. Le réalisateur n’hésite pas à décadrer son image, à lui associer un grain assez grossier et à jouer sur une musique sur-dramatique, rappelant les séries docus True Crime (on me dit d’ailleurs dans l’oreillette que c’est le générique de Faites entrer l’accusé !). Le rythme est lui aussi plus heurté. Un style un peu pompier qui tranche parfois avec la trivialité des dialogues, ce qui contribue à produire un humour grinçant que va amplifier le rapprochement toujours à la frontière du malsain entre Elizabeth et Gracie.

Haynes a toujours eu un faible pour les destins romantiques contrariés. Ses héros doivent souvent tragiquement taire leur nature ou leurs élans amoureux (Loin du Paradis, Velvet Goldmine, Carole). Dans May December, Gracie aspire à vivre une vie normale avec son mari et leurs 3 enfants. La particularité du couple est que leur relation a commencé quand elle avait 36 ans et lui 12, ce qui l’a logiquement conduit en prison… Haynes ne questionne pas tant que ça la notion de consentement. Le fait qu’elle ait été jugée coupable établit ici factuellement son absence. Mais la visite intrusive d’Elizabeth et ses questions malicieusement orientées vont raviver les blessures du passé et dynamiter un quotidien qu’on devine avoir été long à normaliser. Au point de faire vaciller les certitudes de Joe, le jeune père de famille, qui va pour la première fois questionner son consentement de l’époque. Le réalisateur montre ainsi à quel point on peut tordre la réalité pour se convaincre soit même de son bonheur, sans se soucier des dégâts provoqués sur ses proches. C’est un peu le mantra de Gracie, qui se donne en permanence une apparence de force et de normalité en surjouant la parfaite et comblée femme au foyer. Son entourage est plus ou moins dupe, mais c’est l’irruption de cette actrice destinée à l’incarner à l’écran qui va fendre un peu l’armure qu’elle s’est consciencieusement construite. Elizabeth va la tester en tentant de cerner ses côtés les plus sombre pour mieux se les approprier. Mais ce n’est pas forcément pour déplaire à Gracie qui se plie très volontiers à ce jeu de dupes. Haynes orchestre une savoureuse confrontation entre les deux femmes, toute en œillades, moues provocatrices et répliques bien senties.

Portman semble prendre beaucoup de plaisir à interpréter cette actrice-enquêtrice qui sous couvert d’empathie met bien gentiment le boxon dans cette famille. Moore paraît tout autant s’amuser à la balader dans sa vie et lui montrer ce qu’elle a envie de lui montrer. Elles se jaugent, se jugent, s’apprivoisent pour mieux se manipuler.

Un choc de comédiennes à l’interprétation habitée qui tient toutes ses promesses, jusqu’au trouble que provoque un mimétisme final saisissant. Perdu et déboussolé entre ces deux figures féminines dévorantes, Joe magnifiquement campé par Charles Melton, incarne ave fragilité l’innocence et la sincérité.

Un peu lent certes, parfois atone, May December suscite malgré tout constamment l’intérêt, un poil voyeur, du spectateur. On veut savoir où Haynes veut en venir et quel sera le fin mot de l’histoire. Si le réalisateur nous donne un indice à la fin, c’est bien à nous de nous faire notre propre opinion.

Créée

le 25 janv. 2024

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