Quatre saisons dans la vie des Chapdelaine

J’ai failli arrêter le film après 5 minutes. Le prologue était pourtant intrigant, avec ses promesses de passions déchirantes trouvant leur écho dans le territoire indompté du Lac Saint-Jean. Espérant un mélodrame exaltant la beauté sauvage de nos régions, mon désenchantement fut grand lorsque le film m’infligea sa première scène digne d’un proto-Baz Luhrmann. Chaque plan ne demandant qu’à se déployer dans la durée est abruptement coupé, comme si aucune prise de vue ne pouvait être abandonnée sur le plancher de la salle de montage. Ce n’est même pas comme si on avait droit à un véritable montage frénétique, une rafale d’images qui accroit soudainement l’intensité du moment. Le tout est simplement hors-tempo, les coupes sont précoces. Quant à la musique, elle est bonne mais omniprésente. N’est-ce pas là un péché mortel pour tout cinéphile disposant d’un peu d’amour propre?


Tous les signes pointaient vers la catastrophe, et pourtant…


Et pourtant le film parvient à trouver son rythme. Les caractéristiques qui, individuellement, rendraient l’œuvre impossible à regarder en viennent à s’agencer pour créer un équilibre précaire mais viable. C’est parce que le récit n’est pas simplement celui des amours de Maria et des chemins que sa vie peut emprunter, son histoire s’inscrit au côté de celle de sa famille, de leur labeur commun pour travailler la terre et construire une humble demeure au cœur de cet environnement à la fois magnifique et hostile. La photographie vient sublimer la beauté austère des paysages qui invite à la contemplation, mais l’enchainement inaltérable des plans en vient à suivre le tempo de cette vie marquée par les saisons et où le labeur ne s’arrête pas. Quant à la musique, celle-ci accompagne et soutient cette progression et permet aux scènes de dépasser la simple représentation du quotidien à la lisière du monde, elle fait de leur vocation à défricher la région un devoir qui ne s’explique pas mais se ressent. En fait tout le film évoque des forces qui dépassent les personnages, l’amour et le devoir d’un côté se dressant face aux éléments naturels insoumis. Cette vision de la nature se traduit dans l’image, notamment ce plan magnifique où le blizzard avale François Paradis pour ne laisser transparaitre que sa silhouette, mais aussi dans le travail sonore. Une profonde humilité ressort de ce combat ou la parole cherche à se tailler une place, que ce soit avec le père qui parle du territoire alors que les bourrasques tentent de couvrir son discours, ou lorsque les mille prières de Maria s’émiettent dans la tempête pour faire de sa voix qu’une texture inintelligible.


L’histoire d’amour, elle, se développe dans ce contexte particulier où le travail de subsistance revêt une obligation morale. Face aux prudes mœurs de l’époque, c’est au détour d’un regard que les cœurs se trahissent, d’un silence un peu plus long avant de se dire bonne nuit ou d’un moment de quiétude isolé pendant les récoltes. La mécanique bien huilée de l’ouvrage se dérègle momentanément, laissant place à de tendres flottements évanescent au sein de cette marche inarrêtable qui est le lot des colons de la région.


Si la forme du film n’a rien de révolutionnaire et son approche appuyée comporte certaines maladresses, l’ensemble est néanmoins cohérent et parvient à insuffler au récit une dose de romanesque bien sentie, et c’est cette élévation du réel qui donne son charme à l’œuvre. Je veux bien admettre que c’est un charme suranné tirant sur le quétaine, mais c’est un charme qui demeure présent et c’est tout ce qui m’importe.

Tony_Redford
7
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le 18 juin 2021

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