Maps to the Stars ou quand le mythe rencontre la réalité

Le cinéma de Cronenberg, comme celui de Lynch est chargé en symboles. Au-delà de cet aspect symbolique, Cronenberg et Lynch ont un point commun, qui les différencie des autres : leur rapport à l’étrange. On est d’ailleurs vite amené à se demander comment « l’étrange » transcende leurs œuvres.
Ces deux cinéastes ont souvent été qualifiés de cinéastes de l’étrange, mais étrangement leurs œuvres ne vont jamais - mais alors jamais - dans la même direction. La vague lynchienne ne s’échoue jamais sur la crique cinématographique tandis celle de Cronenberg finit toujours par effleurer le sable et submerger les chevilles des passants.
Chacun a sa patte, chacun a marqué le cinéma.
Rapidement, on fait le rapprochement entre le chef-d’œuvre ultime de Lynch (Mulholland Drive) et Maps to the Stars du réalisateur canadien.
Les deux histoires ont des thèmes et des cadres similaires, pour ne pas dire identiques ; en effet, Los Angeles est le théâtre des illusions et des désillusions hollywoodiennes que mettent en scène Lynch et Cronenberg avec brio.
Des personnages féminins au cœur de l’histoire, le lien intime entre le rêve et la réalité ou plutôt l’incidence du rêve sur la réalité des personnages, une tension sexuelle constante, une violence émotionnelle et physique latente et enfin l’étude des rapports de force à l’échelle des individus, mais aussi à l’échelle de l’industrie cinématographique.
Peut-on pour autant dire que Maps to the Stars est une revisite de Mulholland Drive ? Ce type d’interrogation n’est dans le fond pas vraiment pertinents, puisqu’il revient à voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, ce qui est le degré zéro de l’analyse. Toutefois, cette question - aussi impertinente soit elle - nous invite à comparer des méthodes de travail, mais surtout des esprits artistiques et torturés qui utilisent le même moyen (l’art de l’image) pour arriver à leurs fins.


Maps to the Stars est le dernier long-métrage en date du natif de Toronto, et est présent dans la Sélection Officielle de la 67e édition du Festival de Cannes. Il va sans dire que l’année 2014 a été une année exceptionnelle en matière de productions filmiques et les films en compétition à Cannes sont à l’image de ce millésime.
Et pourtant… 2014 a été à mon sens plus injuste qu’exceptionnelle. Typiquement, Mommy remporte le Prix du Jury, ex-aequo avec le trip intellectuel et masturbatoire de Godard. L’un méritant amplement la Palme d’Or, l’autre mér… RIEN.
Julianne Moore (rôle-titre du dernier film cronenbergien) remporte par ailleurs le prix de la meilleure interprétation féminine.


David Cronenberg se défend d’avoir réalisé une satire d’Hollywood. Pourtant, il semble prendre un malin plaisir à montrer la face sombre de l’industrie en dépeignant des personnages névrosés et déviants. Cronenberg aime montrer des histoires de personnages névrosés, dans un environnement instable.
À travers le microcosme hollywoodien, il dénonce les travers de la société, la fameuse décadence occidentale contemporaine.
Avec Maps to the Stars, Cronenberg nous dit - à la manière de George Abitbol dans La Classe américaine - que nous vivons dans un « monde de merde ».
La scène où les jeunes acteurs discutent de la vente de leurs selles à des fans est très révélatrice du regard de Cronenberg d’une part et de son scénariste Bruce Wagner d’autre part. Le XXIème siècle est un siècle qui donne de la merde à des personnes qui n’attendent que ça, et qui en apprécient l’odeur. Quelque part, c’est une métaphore du cinéma de divertissement actuel ultra formaté que l’on sert à des spectateurs avides de sensations et réticents à l’idée de garder son cerveau connecté. Les gros producteurs jouent sur les attentes des spectateurs, donc ces mêmes producteurs ne sont pas les seuls à blâmer. Les spectateurs déshumanisés ont également une part de responsabilité. Le cinéma est un art, le cinéma est un divertissement. Cronenberg nous montre que le monde est décadent, et que le « simple » divertissement finira par plomber l’art.


Cronenberg fait usage de la métaphore hollywoodienne pour étudier l’inceste. Cela devait arriver puisque le cinéaste adore traiter des vices humains.
Il met en scène l’inceste par le prisme du complexe œdipien. Les deux parents sont en réalité frère et sœur, mais ils ne pouvaient pas le savoir puisque dès leur enfance, ils avaient été séparés.


Le frère et la sœur se marient et donnent naissance à deux enfants, une fille et un garçon : le schéma se répète, leurs enfants s’unissent et disparaissent lors d’un suicide incestueux.


Pour incarner cette consanguinité, les enfants (Agatha et Benjie donc) sont difformes physiquement et dérangés psychologiquement. Ces deux tares sont directement liées. La pyromanie de la fille condamne son corps en le brûlant, on n’est jamais loin des obsessions cronenbergiennes avec l’esprit qui maltraite le corps. Le garçon a lui un physique assez troublant, freaky, il est maigre, disproportionné et en proie à de véritables hallucinations liées à ses peurs freudiennes.
Parlons-en de ces hallucinations, qui déjà étaient traitées formidablement bien dans Videodrome.
Benjie n’est pas le seul à subir le sort de ses hallucinations. Havana (Julianne Moore) vit avec le fantôme de sa mère (la magnifique Sarah Gadon) qui l’a abusée sexuellement, c’est ainsi qu’elle la voit pendant sa threesome, pour ne citer que ce moment très cronenbergien.
Ils veulent tous se libérer de la folie qui les gagne, et qui est favorisée par l’entre-soi dans lequel il vit : Hollywood, l’usine à rêves devenue l’usine à cauchemars.
Les quelques vers du poème Liberté de Paul Éluard se fondent donc parfaitement dans ce décor qui brûle d’asservissement.


La dernière œuvre du maître est comme toujours très riche, et presque subversive.


Maps to the Stars est le dernier film de mon cycle Cronenberg. Durant ce cycle, j’ai eu le sentiment de psychanalyser le réalisateur. Ses obsessions sont évidentes, mais jamais il ne sombre dans l’auto-caricature. Cronenberg aime les automobiles, le sexe, la violence, la chair, l’esprit à un point tel qu’il finit toujours par les détruire.
Maps to the Stars a confirmé ce que je pensais déjà depuis un moment : les rapports sexuels dans une voiture semblent être un fantasme de Cronenberg (cf.Crash, Cosmopolis, Maps to the Stars)
Et puis, quand il s’agit d’analyser les œuvres du cinéaste, on omet d’évoquer l’humour étrange et particulier du père de l’horreur corporel. Il y a toujours une forme d’ironie cathartique dans certaines de ses scènes : dans son dernier long-métrage, la star hollywoodienne Havana n’est pas tuée avec un cigare mais avec une statuette dorée, car si Hollywood lance des carrières, elle en met surtout fin.


Juste deux mots pour finir : merci Cronenberg.


(7,5)

Créée

le 25 juil. 2020

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sachamnry

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