Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

Voir le film


Beaucoup l'attendait, certains espéraient un chef d'œuvre, le onzième film de David Fincher, au-delà de ces attentes, confirme sa place particulière dans sa filmographie.



Comme à l’image de Louis B. Mayer, patron de la MGM qui considérait celle-ci comme sa « ganza mishpoka », cet onzième effort livré par David Fincher, est aussi une affaire de famille. Le scénario, fruit de l’esprit du père Jack, journaliste et auteur, qui relate une partie de la vie de l’aîné des Mankiewicz (Herman), le moins célèbre des deux, datait des années 80. Durant les années 90 et grâce à la popularité croissante de David Fincher à Hollywood, le projet se voyait prendre les chemins tortueux et toujours incertains de la préproduction avec Kevin Spacey et Jodie Foster dans les rôles titres. Malgré la présence de ces noms et le déterminisme évident des auteurs, aucun studio ne décida de donner suite. Il aura fallu attendre 2019 et le sauveur Netflix pour que le projet fasse à nouveau surface et que la machine se lance enfin. Malheureusement, entre temps, Fincher père était décédé des suites d’un cancer, ce qui laissait à Fincher fils, seul survivant et responsable de l’entreprise familiale, l’opportunité de rendre, également, un hommage assumé à son paternel.


« Mank » c’est le surnom que donnaient tout un pan et la fine fleur d’Hollywood de cette époque (les années 30/40 et la grande dépression mais surtout l’avènement du parlant au cinéma) à Herman J. Mankiewicz, auteur, journaliste et critique populaire au New York Times et au New Yorker d’origine juif qui deviendra à la fin des années 20, scénariste, pour la Paramount, avant de passer, au milieu des années 30, du côté de la MGM et de participer, entre-autre, au script du Magicien d’Oz de Victor Fleming. Apprécié pour son humour et admiré par son talent d’auteur, Mank va être approché, alors qu’il a déjà 43 ans, pour signer l’œuvre de sa vie, par celui qui n’est, à cette époque, qu’un dramaturge et auteur new-yorkais en pleine ascension, Orson Welles qui est un grand admirateur ; cette œuvre : Citizen Kane évidemment !


Mank, le film, va donc se porter sur l’écriture du scénario et une infime partie de la vie de son protagoniste durant les années 30. Il évident que ce qui passionne Fincher dans cette intrigue, c’est la figure tragique de cet obsessif, génie de son temps mais paria d’un système hollywoodien qui, à l’époque, est un vaste réseau capitaliste, manipulé par des capitaux et intérêts économiques, sociaux et politiques (ce qui n’est pas vraiment différent d’aujourd’hui, à bien y réfléchir). Le cinéaste américain va s’amuser à jouer de cette antinomie évidente entre Mankiewicz et l’élite de la machine à rêve à travers ses attitudes délirantes (et souvent sous l’emprise de l’alcool) lors de dîners mondains au domicile de William Randolph Hearst (magnat de la presse et éminent nabab à Hollywood). Sa verve et son emphase croisant une irrécusable grandeur d’esprit et de culture ainsi qu’un cynisme et un humour souvent corrosif rappellent étrangement un autre personnage de la cinématographie de Fincher en la personne de Mark Zuckerberg dans The Social Network.


Les mots, les phrases, les dialogues, comme dans le biopic sur Facebook, éructent avec véhémence et entrain. Le travail du montage étant pour beaucoup (Kirk Baxter à la manœuvre, fidèle de Fincher depuis TSN), le débit d’informations et le rythme vont très rarement laisser le temps aux spectateurs de profiter de la beauté du noir et blanc 8K, de la précision des cadres, des partitions musicales passionnantes de Trent Reznor et Atticus Ross (en route pour un deuxième Oscar ?) ou encore de la beauté de cet éclairage qui rappelle le travail d’un certain Gregg Toland.


Peut-être que c’est sur ce point bien spécifique que le cinéma de Fincher trouve ses limites ? En se refusant à des respirations qui seraient bienvenues, le film s’inscrit dans une volonté de tenir une fréquence tellement élevée qu’elle risquerait de rendre sourd le spectateur.


Le dispositif fétichiste, quant à lui, bien que cohérent avec la démarche artistique, apparaît, peut-être, un rien ostentatoire et superficiel une fois la première demi-heure écoulée, notamment dans la répétition des titres qui structure le récit du film, mimant une machine à écrire. Néanmoins, d’autres procédés, comme l’enregistrement sonore en mono, s’inscrivent dans une manœuvre un poil plus réflective.


C’est d’ailleurs cet équilibre entre de vieilles techniques et les plus modernes qui donne un certain charme à cet objet filmique totalement anachronique. Fincher, sans éviter complètement le piège du formalisme nostalgique et de rares citations visuelles trop évidentes, parvient à insuffler l’énergie et le dynamisme singulier qui fait le sel de son cinéma et qui nous avait tant manqué.


Difficile à dire si David Fincher a déjà réalisé son chef d’œuvre. Il est trop tôt encore pour pouvoir l’affirmer. Mank n’est, en tout cas, pas le chef d’œuvre que certains auraient pu attendre. Il n’en reste pas moins, un film d’une rare beauté et (encore plus étonnant) teinté d’ivresse et d’une émotion guère habituelle chez le cinéaste qui vient se cristalliser dans le personnage d’Herman Mankiewicz (sans doute l’alter ego de Fincher, père et fils) et dans la performance truculente et pittoresque du génial Gary Oldman.



  • Drame

  • Biopic

Jogapaka
7
Écrit par

Créée

le 6 déc. 2020

Critique lue 359 fois

1 j'aime

Jogapaka

Écrit par

Critique lue 359 fois

1

D'autres avis sur Mank

Mank
Ketchoup
5

Mank a gagné?

Le mérite du film, c'est de nous dire que Citizen Kane (1941) a été écrit en majeure partie par Herman Mankiewicz et non pas par Orson Welles. Ils reçurent ensemble l'Oscar du meilleur scénario...

le 5 déc. 2020

68 j'aime

41

Mank
Moizi
5

Demain je t'aurai oublié

Ma première déception chez Fincher, clairement à aucun moment je ne suis vraiment rentré dans le film, à aucun moment le film n'a inspiré autre chose chez moi qu'un ennui poli face à une œuvre qui...

le 5 déc. 2020

56 j'aime

3

Mank
Vincent-Ruozzi
7

Le singe joueur d'orgue de Barbarie

Plus de six ans sont passés depuis Gone Girl, dernier long-métrage en date de David Fincher. Loin d'avoir été inactif durant cette période en produisant et réalisant plusieurs épisodes de la série...

le 25 déc. 2020

54 j'aime

4

Du même critique

Exodus - Gods and Kings
Jogapaka
4

Le retour perdant de Ridley Scott au Péplum !!!

"Exodus" signe le retour de Ridley Scott, 14 ans après "Gladiator", au genre qui avait donné un second souffle à sa carrière, le Péplum. Genre exploité rarement dans le cinéma contemporain, Scott...

le 20 déc. 2014

10 j'aime

5

Quand vient la nuit
Jogapaka
7

C'est du bon, c'est du belge!!!

Après le très bon Rundskop, Michael R. Roskam nous offre cette fois un film noir outre atlantique. "The Drop" est adapté du roman "Animal Rescue" de Dennis Lehane ( c'est à lui que l'on doit "Mystic...

le 28 sept. 2014

10 j'aime

Pour l'éternité
Jogapaka
6

Une formule qui s'éternise

Alors que nous vivons des temps tout à fait inédits, le cinéaste suédois, Roy Andersson, revient au cinéma avec un projet qui rappelle ses précédentes œuvres... peut-être trop même En ces heures...

le 17 août 2020

7 j'aime