Pour commencer, qu'est-ce que ce "de" fait là, dans "le docteur de peste"? Docteur Peste tout court semble tellement évident. C'est d'ailleurs comme ça qu'il est nommé par tous les protagonistes.


Je ne voulais plus trop revenir sur l'omniprésence de Netflix, pour l'avoir rabâché ailleurs, en contestataire pré-sénile que je suis. Major Grom est un tel paroxysme qu'il m'est impossible de l'esquiver. Garant d'une certaine qualité technique, le cahier des charges que Netflix impose aux productions qu'elle achète induit une uniformisation formelle mais aussi et surtout des contenus. Major Grom n'est ni plus ni moins qu'un Dirty Harry, le 357 en moins, la casquette en plus. Qu'il soit un super heros de comics rajoute à la formidable opportunité qu'on dû y voir les argentiers de Netflix, en ces temps de déferlante Marvel-DC. Voilà un héros-gendre idéal pour un mariage ruskofo-ricain ! Histoire de bien enfoncer le clou, prenons un acteur russe, qui n'a pas une gueule de russe ! Bon d'accord, qu'est-ce que ca veut dire une gueule russe dans un pays qui compte nombre d'ethnies, aussi variées? Ça vaut ce que ça vaut, mais pour moi une gueule de Russe c'est ca : https://www.google.com/imgres?imgurl=https%3A%2F%2Fsciencepost.fr%2Fwp-content%2Fuploads%2F2021%2F04%2F1-sovietcosmon.jpeg&imgrefurl=https%3A%2F%2Fsciencepost.fr%2Fyouri-gagarine-premier-homme-dans-espace%2F&docid=8RUxqp_cXmwADM&tbnid=VuiaQbyhbd0c1M&vet=1&source=sh%2Fx%2Fim
('tain, jamais vu un lien aussi long !)
Je pense que le choix d'un héros à gueule passe partout (il pourrait passer pour méditerranéen, pour ricain, pour chilien, pour ghanéen -euh nan, ptet pas... ) est loin d'être anodin. C'est un choix délibéré, fidèle à cette démarche de la plate-forme multinationale Netflix, qui est la même que celle de Mac do : quelquesoit le pays, le même produit.


Je suis passé par pas mal d'états en regardant ce film, ce qui en fait un objet au moins intéressant. La séquence d'ouverture, (enfin, celle qui fait suite au toutou) dopée aux amphèts, est franchement bien foutue, dans son registre. Première apparition du "réfléchis x3", joli prétexte à prolonger la scène, à la décliner. C'est même un procédé assez original, voire inédit si on oublie Harry Potter ou tous les films à voyage dans le temps. Bon, pas inédit. "Serait-ce un super pouvoir?" se demande-t-on. Non, comprend-t-on, tant mieux, se dit-on.
Vient ensuite ce générique, vraiment bien gaulé, qui évoque forcément celui de GOT avec ces immeubles qui poussent comme des pâquerettes.
Comme beaucoup, mes penchants sont hétéroclites, en cinéma comme ailleurs, et me calant un peu plus profondément dans mon fauteuil, je me tins prêt à boucler ma ceinture pour assister à quelques morceaux de bravoure bien bourrins. Et je ne fus point déçu, marmonant même, pendant le procès : "kika des plus gros sabots que les ricains ? Les ruskoffs !"
Fidèle à mes convictions obsessionelles, je gardai en tête que je matai du Netflix sauce strogonoff, et notai ça et là qui un plan fixe en très léger zoom avant, qui une ouverture en plongée au drone et surtout une image surproprette. On aura droit à 1min 35s des bas fonds de St Petersbourg, à l'appart un peu crado (mais quand même super vaste, avec une fenêtre de malade, façon loft avec ses chiottes dans le salon) du flic célibataire, parcequ'un peu de vulnérabilité c'est tellement romantique chez un dur à cuire, demandez aux midinettes. Sinon, les cellules du comico sentent le parfum vanille-violette d'ici, plutôt que le pisse-vomi, désuet et galvaudé. Du même tonneau, les bureaux somptuaires des flics sont logés dans le transept d'une cathédrale St Peterbourgeoise. Ah, quand même, cette Sainte Russie, quel chemin n'a-t-elle pas parcouru depuis sa conversion au capitalisme d'état, sous l'egide conjointe d'un patriarche éclairé et d'une plate-forme multinationale ! Et c'est sans parler des initiatives privées, illustrées par cet orphelinat à faire pâlir l'Ermitage, dont la rénovation fut financée par notre Steve Jobs en herbe rouge (parti, cheveux et Boris Vian compris), Razumovsky lui même, le philanthrope schizophréne.
J'ai souri aux aveux spontanés du scénariste quand la consanguinité avec Batman nous a sauté au yeux. Petit pied de nez aux ricains, la pirouette est amusante, efficace pour se débarrasser d'une accusation de plagiat, mais, au final, falsifie l'indépendance. Oui, pourquoi citer Batman nommément et pas Fight Club? Des super heros milliardaires, il y en a un certain nombre (Ironman, le chef des F4, chaipu comment ki s'apelle). Des schizos il y en a peu (une au moins chez Doom Patrol), mais qui constituent le twist majeur du film et se battent contre eux mêmes, je n'en connais qu'un.
Emprunt, plagiat ou citation, je ne suis pas détenteur des droits de FC, juste un spectateur qui relève certains trucs. Donc, passons.


Voilà pour quelques unes des plus notables idées qui me sont venues, sur les détails.


La trame principale est d'un conformisme confondant. Quoi de plus efficace qu'une posture anti corruption pour s'attirer la sympathie du spectateur ? Presque ex æquo, le super méchant à la tête d'une multinationale. Bingo, ici on a les deux !
Recette : prenez un fils à papa, dressez le en chemise d'adidas, affublez le d'une sale gueule, saupoudrez de votre propre jalousie quand il se pointe en supercar. Le faire slurper un milkshake à son procès est en option, c'est même un peu superflu puisqu'il a déjà buté une orpheline de huit ans. Si ce mec est votre idéal, va falloir consulter ou alors c'est ton frérot (quand on dit "frérot" on peut pas dire "vous"). Bon, donc tout le monde hait ce type, et c'est lui qui déclenche tout. Tout le film passe, on subit twists, poncifs, et aussi quelques bons moments. Tout ça pour nous faire bien comprendre que le pire crime de Razumovsky, c'est pas le meurtre (même si" eh Raskolnikov, t'as lu Dostoïevski ? "), c'est pas de faire le bien des gens à leur propre dépends, c'est l'anarchie, l'insoumission, la révolution ! Au pays de celle d'Octobre, c'est un comble. Quoique, à bien y penser, cette idée est pas loin de s'imposer chez nous, au pays de celle de Juillet.
Bref tout ça pour dire : restez chez vous, confinement ou pas, bougez pas le ptit doigt, et faites confiance à l'animatrice télé qui vous dit que "des reformes du système judiciaire seront mises en oeuvre, conformément aux exigences de l'opinion publique qui demande des transformations significatives dans les plus brefs délais ". Lol on dirait une lettre que vous envoyez à votre assureur, sachant que l'expert viendra s'il a envie et qu'en attendant le dégât des eaux s'aggrave. Au mieux, vous aurez une franchise à casquer. Je rigole : si on veut voir une touche russe dans ce fatras, elle est peut être là, parceque les ricains n'ont pas osé, ils préfèrent le bon vieux happy end qui vous laisse la banane en sortant du cinoche, les yeux pour pleurer quand tombe la facture du plombier.


Et voilà, on a ratissé bien large en exitant votre colère, légitime ou pas (à vous de voir) contre les corrompus, on a cité Dostoïevski (enfin juste son nom), inclu quelques clips punk rock rap bien subversifs pour s'attirer la sympathie d'ados de tous poil. Et ça fonctionne puisqu'on voit pas mal de chroniques vanter la critique sociale -presque documentaire soyons fous- d'un bon gros divertissement un peu bourrinant.


Gros divertissement bourrin certes mais surtout véhicule d'une propagande americaine comme russe, un poil mercantile, comme la première, un schouïa liberticide comme la seconde. Entre peste et choléra, votre coeur balance ? Ne vous infligez pas ce choix cornélien et quelque peu vomitif, non, pour le même prix, vous aurez les deux.


Bon, comme beaucoup n'y voient que le divertissement, plus ou moins exotique parceque "russe", je doute que mon point de vue fasse mouche. Et puis, en toute honnêteté, et en bon désabusé, je doute qu'une éventuelle prise de conscience mène à quoi que ce soit.

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le 27 juil. 2021

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