La Colonie
5.3
La Colonie

Film de Tim Fehlbaum (2021)

Pour plusieurs raisons, je trouve certaines similitudes entre Tides et Settlers dont j'ai pondu une critique ici même.


Le scénar post-apocalyptique, bien sûr.
Des décors naturels forts, ensuite. Une aridité très wild west pour les ultimes pionniers martiens de Settlers. Une mer de vase, suintante d'eaux visqueuses pour les survivants de la terre dévastée de Tides. S'ils sont opposés en terme d'hygrometrie, ces deux mondes sont marqués, marquants en termes esthétiques, incarnent l'apocalypse, et démontrent que bien filmés, des paysages naturels, sans même compter parmi les plus extrêmes de notre planète, peuvent avantageusement remplacer des images synthétiques, à moindres frais.
Ces économies de moyens, cette sobriété esthétique fait écho, dans les deux films, à une sobriété du jeu d'acteurs, du maniement du pathos, qui, s'il est dans les deux cas incarné par une petite fille, ne cède pas à la surenchère quand bien même un peu à la facilité.


Le dernier parallèle entre les deux films est un peu le résultat du hasard. Ma critique se trouve par deux fois être la deuxième chronologiquement, j'ai donc lu celles qui m'avaient précédé. Et les deux font la part belle au versant féminin de ces oeuvres, jusqu'à donner aux chroniques leurs titres. A chaque fois, l'héroïne badass et victime de la violence d'hommes ne m'a pas paru être l'élément le plus intéressant. Parceque fort peu original voire totalement galvaudé par un opportunisme mercantile, parceque d'autres thèmes m'ont paru plus centraux et plus inédits. Pour Settlers, je vous invite à lire ma chronique (autopromo filée), pour Tides à lire la suite.


Comme mon prédécesseur l'a très justement relevé, l'infertilité qui menace Kepler d'extinction est un thème largement mieux exploré par Les Fils De L'Homme et Cuarón, qui nous a livré là une oeuvre majeure. Cependant, selon moi, tel n'est pas là le vrai sujet de Tides, pour lequel je vois l'infertilité comme un prétexte, un déclencheur. Non, pour moi, le vrai sujet du film, en tous cas ce qui a éveillé mon intérêt, c'est sa réflexion sur les élites et le rapport dominants-dominés.
Premier petit caillou blanc, un des cartons qui entrecoupent l'entrée dans l'atmosphère : "quand la terre devint inhabitable, les élites dirigeantes trouvèrent refuge sur Kepler".
À l'occasion des quelques flash back qu'a Blake de son père, on comprend qu'elle comme lui, de l'etoffe des héros, font ou feront partie du programme qui retournera sur terre pour en tester la viabilité. Programme certainement pas ouvert à tous.


Il y a ensuite cette confrontation avec les survivants inattendus. Les "muds" comme les appellera Gibson, laissant paraître son évident et profond mépris. Avant même que Gibson ne les affuble du sobriquet, Blake est recueillie puis confrontée à une population violente, voleuse, destructrice, étanche à la pitié, moqueuse, bref, d'incultes sauvages parlant sabir. La rencontre n'est pas sans évoquer le conquistador ou l'européen du 18e ou 19e siècle face aux Natifs ou aux Noirs, et Tintin au Congo. Une Basileus tombée aux mains des barbares.


Puis, ce mantra : "For the many". L'élite dirigeante qui quitta la terre, se retrouve à l'état de multitude, redevenue peuple elle-même à défaut de dominés à dominer. Son nouveau mot d'ordre, slogan ressemblant à un "Tous ensemble" de cortège gauchisant, pourrait en attester. Cependant, plutôt qu'une union sacrée, "For the many" exige le sacrifice de soi pour le bien de tous, l'effacement de l'individualité devant la prépondérance du groupe. Voilà qui évoque un corporatisme népotique, une société fortement clivée et hiérarchisée, ce qui n'est pas sans rappeler de sombres heures de notre histoire ni sans aiguiller Gibson vers ses dérives autocratiques et excluantes, tracant un droit chemin vers un apartheid où "Keplers" domineront "Muds". Paling, dans son rôle de capo collabo, personifie sans ambages cette référence à nos pires heures, surtout lorsqu'on apprend (pour moi au générique de fin) qu'on est en présence d'une production germano-suisse.


Bien que franchement orienté vers une mise en cause des élites, le point de vue n'est pas totalement manichéen. Blake et son père, crème de la crème, élite plus intellectuelle que dirigeante, à plus forte raison en comparaison de Gibson, fait aussi référence à l'intelligentsia, pourchassée par les Staline comme les Hitler, les Mao comme les Le Pen. On peut voir dans la révolte avortée du père de Blake la faillite de cette élite à s'opposer aux forts en gueule et en fric qui jusqu'ici ont toujours fini par l'emporter.
Si la fiction Tides donne une manche aux intellos et veut finir sur un nouvel espoir, il reste incertain, loin d'un déterminisme.


Les "Keplers" reviendront sur terre.
L'arbre au poing, ou la fleur au fusil.


Tides, par rapport à Settlers est moins minimaliste. Peut être question de budget, ou pas. Dans les deux cas on est loin du blockbuster et l'économie de moyens s'avère un plus, muté en parti pris esthétique. Les deux nous proposent cette SF que j'ai déjà qualifiée de "mûrie". J'avoue une tendresse sûrement europeano-chauvine quand je vois de la SF de qualité non issue ou ne singeant pas le cousin d'outre atlantique. L'anglais parlé par les "Kepler"a pour moi double fonction : il donne une crédibilité à cette production européenne, la SF étant de nationalité américaine par droit du sang, peu s'en faut. Tides en prend acte, au deuxième degré, quand le sabir "mudien" sonne Saxon.

Kinovor-Cinefaj
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le 23 juil. 2021

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