Comme beaucoup, à tort, je considérais que Sam Peckinpah était le fossoyeur du Western américain, l'attaquant de l'intérieur et amorçant son déclin.
J'étais un mouton dans le troupeau.
Alors qu'en vrai, le western s'est tué tout seul, en tournant en rond et en recyclant jusqu'à plus soif les mêmes rengaines que de rares éclairs de génie cachent avec peine.
Sam n'a tenu aucune pelle, n'a creusé aucun trou.
Je n'ai pas été le dernier pour lâcher des « crépusculaire » ou autres « chant du cygne » quand j'abordais, la morve au nez, un des films du moustachu. Car c'est facile d'enfoncer des portes ouvertes, de suivre les sentiers balisés de la pensée unique et de tout ranger dans une boîte trop étroite. On se sent mieux quand on pense avoir tout compris, il suffit d'une étiquette posée sur un front et c'est bon. Alors que non, mon pote, Peckinpah ce n'est tellement pas ça.
Il faut dire la vérité. C'est vrai, chez ce mec, il y a du presque jamais vu, une forme de nihilisme qu'évitaient soigneusement ses collègues, préférant glorifier la plupart du temps les pionniers, les encenser, t'entraîner dans l'aventure, t'hypnotiser des déserts, te faire pleurer des montagnes. Il était des esthètes qui savaient d'un coucher de soleil t'exploser les mirettes, n'oubliant jamais une forme de romantisme que le grand Sam n'affectionnait guère. Pas pour faire son malin, selon moi, mais pour être juste avec lui-même, tu sais, le truc qui va avec "se regarder dans la glace sans détourner les yeux".
Mais ce bonhomme adorait l'Ouest et les Hommes. Et si son œil, sa vision des choses , étaient plus terre à terre, plus proches des bas instincts, ceux qui font déchirer la viande sur l'os, avec les dents, ceux qui font vomir le sang, la tequila et la poussière accumulés dans une vie, il n'en débordait pas moins d'amour pour le genre humain.
En choisissant une forme de naturalisme, il ne s'éloignait pas de ce qu'il voulait raconter vraiment, parler des hommes et de leur côté sombre, abysses desquels, une fois happé, tu ne ressors jamais.
Une passion exacerbée pour les crasseux et une façon d'aborder la violence frontalement, sans l'enjoliver, mais sans l'atténuer non plus. Un truc affreux qu'on le taxa, à tort, encore, d'utiliser pour assouvir son goût du sang, sa folie dévastatrice.
Pauvre Sam! Alors que ton credo c'était d'ausculter les travers de l'âme humaine, ce sombre, ce sale, ce dégueulasse, on te ferait presque passer pour un pervers, un malade, une raclure.

Son troisième film, Major Dundee, est à ce titre un exemple parfait pour y voir plus clair dans son jeu, une démarche (d'escalier) essentielle pour observer la mutation d'un artiste qui, avec son métrage suivant, imposera sa patte définitivement, en donnant au genre un de ses derniers chefs-d’œuvre : The Wild Bunch. Un film où il commencera à faire se confondre sa vie et son cinéma, où son regard se fera plus acéré, mais aussi plus sombre, sur le monde, son Amérique qu'il aimait mais qui l'effrayait aussi, irradiante de violence, sauvage et peuplée d'hommes que les rêves mènent au bout du cauchemar.
Et puis, un film sur la cavalerie, c'est un peu comme s'il allait pisser dans le jardin de John Ford.
Dundee est, à ce titre, son dernier film « classique ». Pas de sur-découpage des scènes d'action, pas de Freeze et un héros dans la grande tradition de l'Ouest.
Amos Dundee, soldat devenu geôlier d'après-guerre et pour qui le costume de maton est gênant, trop guindé, loin de ce qui est inscrit dans ses gènes, va sentir le feu dans sa poitrine, s'arracher à cette prison qui est aussi la sienne. Alors, quand des apaches massacrent des visages pâles, qu'ils torturent des soldats, en faisant même cuire un pendu tête en bas et qu'ils s'en vont, emportant avec eux trois enfants mâles avec eux, le Major voit en la poursuite de ces sauvages le prétexte, ce signe enfin : il va vivre à nouveau.
Mais peut-on capturer le vent ?
Charlton Heston, débraillé, est immense dans ce rôle un rien rocailleux, poseur comme il sait si bien le faire mais habité, méconnaissable surtout quand il se roule en boule et qu'il est plus proche d'un clochard que d'un prophète. Pourtant, il traverse plus mauvais que la Mer quand il fend en deux cette marée de Sudistes humiliés, de soudards, de voleurs et qu'il est droit et fier (comme un bar-tabac). Ces hommes qu'il sélectionnera pour sa quête sachant que l'armée, la cavalerie ne validera ni n'accompagnera ses choix. Son affrontement avec Benjamin Tyreen (fielleux Richard Harris à l'arrogance bienvenue), en gris vaincu, est dantesque et leur alliance est le cœur du film. Deux sortes d'hommes sur lesquels l'Amérique s'est construite mais qui se détestent, alors qu'ils sont si proches, si semblables. Un film peuplé de personnages désenchantés, annonciateurs de ses méfaits futurs.
Avec aussi d'autres spectres d'hommes, Samuel Potts (James Coburn manchot, sa voix grave, barbu, sauvage entre les sauvages), son éclaireur-conseiller, démon-gardien, marqué dans sa chair par une vie de guerre, miroir du Major, Warren Oates (toujours là), le déserteur, déjà tellement dingue, déjà condamné à mourir d'une balle dans le dos.
Et puis le soleil qui, conjugué à la tequila, assomme.
Répondre en tournant la tête et en lâchant un glaviot.
Et enfin, la Femme qui jaillit tout à coup, qui fissure le roc, comme une malédiction, entraînant la chute, comme si l'abysse devait s'ouvrir sous ses pieds quand il entrevoit un futur sans que le sang ne salisse plus ses mains.

Sam Peckinpah aura bien du mal avec ses producteurs qui, effrayés par les rushs, par la quantité astronomique de pellicule mangée par le sacripant, avaient en tête de le congédier. Heston offrit son salaire, jouant pour rien, pour qu'on le laisse finir un film qui sera censuré, charcuté par des producteurs aveugles et qui nous est présenté aujourd'hui dans la version souhaitée par le réalisateur, 50 ans plus tard.
Entamant « Le Kid de Cincinnati », Peckinpah fut viré au bout de quelques jours.
La légende était en marche. Le réalisateur fou, l'ingérable, allait traverser son désert et revenir métamorphosé et nous donner, à toi et à moi, « La Horde Sauvage ».
DjeeVanCleef
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le 27 avr. 2014

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DjeeVanCleef

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