Le biopic a ceci de distinct qu'on peut aisément le scinder en deux groupes, le premier réunira les films qui se contente de mettre en images la vie d'une personnalité, sans chercher à nuancer les louanges qu'on lui alloue, à ne surtout pas creuser les parts d'ombre en gros à ne pas porter un regard sur la célébrité dont on s'empare. Le second au contraire, s'appliquera à partir de la même base, à éclairer d'un regard inédit l'image de l'artiste ou de quiconque dont on veut dresser un portrait, bien que plus rare, c'est pourtant ce second groupe qui me passionne le plus. Le Mahler (1974) de Ken RUSSELL s'inscrit parfaitement dans cette catégorie et en plus il est une réussite en tout.


Choisissant de se baser sur le véritable dernier voyage en train du célèbre compositeur autrichien à l'issue duquel il trouvera la mort, RUSSELL nous entraine, non pas dans un récit linéaire et sans surprise des différentes étapes de la vie de l'homme, mais dans une réflexion hallucinée sur le personnage et quelle réception il fait en tant qu'auteur, mais aussi artiste de son sujet.

Alternant dans un rythme, qui évoque la figure de style du rondo en musique - figure qui consiste à partir d'un thème à sans cesse y revenir pour en modifier une infime part et ainsi de suite, en extraire toutes les harmonies, tous les arpèges dans un mouvement circulaire qui reste néanmoins en évolution - les séquences dans le train empruntes de réel et où Mahler est décrit comme un obsessionnel, misanthrope, intolérant et assez odieux avec son entourage et les séquences oniriques, qui n'hésitent pas à suivre les pistes du fantastique, du surréalisme pour cette fois nous offrir la vision d'un homme sur un autre.


L'ensemble est non seulement d'une richesse folle, d'une inventivité rare, les idées de mise en scène sont foisonnantes mais toujours justes et jamais dans la surabondance. On n'est clairement pas chez Baz LUHRMANN et quand d'une séquence minimaliste on passe d'un mouvement de caméra à une autre séquence cette fois totalement baroque, il y a une telle fluidité et une telle évidence qui s'en dégage qu'on ne peut qu'être abasourdi devant l'objet.


J'ignore au final si j'ai eu un cours rigoureux sur Mahler, sa vie, son œuvre et je m'en fous, par contre j'ai eu droit à un film pensé par un artiste, qui a souhaité me partager sa vision, j'adhère ou pas c'est un autre problème, et rien que cela m'enthousiasme. L'exercice a en plus le mérite d'être plastiquement sublime et même d'avoir ce côté vertigineux lorsqu'on prend conscience de deux choses, à savoir que Mahler comme d'autres grands compositeurs ont été les rock star de leurs époques avec tout ce que cela implique notamment sur le public et que Russell a défraichi avec deux décennies d'avances toute la grammaire vidéo des clips musicaux, vous verrez des scènes entières qui n'auraient pas dépareillées sur MTV.


Le dernier point très subjectif qui achève pour moi de hisser cette découverte totale au rang des films parfaits, c'est constater avec une petite pointe d'amertume que même l'un de mes films référence, film classé en deuxième position de mon top personnel, le Pink Floyd The Wall (1982) puise une part de sa créativité débridée dans ce biopic à nul autre pareil.


Dans les bonus du DVD, j'apprend l'existence de La Symphonie pathetique (1970) autre biopic apparemment du même acabit s'intéressant cette fois à Tchaikovski, qui prend comme point d'ancrage sa femme, dans une geste qui m'évoque celle de Kirill SEREBRENNIKOV dans son film La Femme de Tchaikovski (2020) que j'adore mais que du coup j'ai envie de confronter.

Créée

le 7 mars 2024

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