Maestro
5.9
Maestro

Film de Bradley Cooper (2023)

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Vous souhaitez en savoir plus sur ce qu'était Leonard Bernstein ? Sur c'était quoi Leonard Bernstein ? Ben, là, si vous ne saviez pas du tout qui il était, vous apprendrez qu'il était bisexuel et qu'il trompait son épouse avec des hommes. C'est tout, merci et au revoir.


Sa carrière musicale, vous dîtes ? Oh ben, c'était un génie, le plus grand ! Ouais, plein de personnages n'arrêtent pas de le lui dire dans la partie en noir et blanc constituant les quarante-cinq premières minutes du bousin (hors brève introduction en couleurs !). Là, vous pensez que le cinéma étant un art visuel par excellence, il vous est montré en quoi le Monsieur est un génie, le plus grand. Réflexion parfaitement légitime. Ben non, on ne le voit quasiment jamais au travail. Et le peu lors duquel ça arrive, ça ne raconte que dalle.


On le voit par exemple terminer une œuvre paraissant être un aboutissement, en filmant le personnage griffonnant quelques notes et paroles vite fait sur une partition. Sa femme est tellement soulagée qu'il ait enfin conclu ce long morceau grandiose qu'elle se paye un délire dans la piscine. Ouais, enfin, émotionnellement, ça n'a aucun impact sur le spectateur puisque ça tombe de nulle part étant donné qu'auparavant, il y a zéro mention de l'écriture du truc. Il était évident que ça aurait eu bien plus de force si le musicien avait été représenté lors de plusieurs séquences précédentes, s'acharnant, peinant sur cette création pour que celui ou celle qui regarde le film puisse ressentir un soulagement suite à l'atteinte d'un aboutissement. Que nenni.

Inclure ses compositions dans la BO ?


Déjà, ce n'est quasi jamais mentionné quand c'est un de ses morceaux qu'on entend, donc celui qui n'y connaît rien n'identifiera pas quoi que ce soit. Ensuite, quand on les entend, c'est souvent balancé d'une façon complètement aléatoire, sans jamais cadrer avec ce qui est diffusé à l'image à ce moment-là. Mention spéciale à l'utilisation de l'ouverture de West Side Story, du grand n'importe quoi lors d'un moment d'une trop grande banalité pour que l'on sorte la discographie (oui, Bradley, pardon Leonard, sort de sa voiture et voilà... ouah, c'est... tiens, je vais me filmer en train de me préparer un œuf à la coque en foutant dans la bande son "O Furtuna" de la cantate Carmina Burana de Carl Orff, ce sera aussi approprié et intelligent !) ... oui, oui, c'est lui qui a composé la musique de West Side Story... c'est sûr que ce n'est pas là que vous allez l'apprendre si vous ne connaissez rien de rien sur Bernstein...


Et la BO d'On the Town censé figurer la passion amoureuse entre les deux futurs époux, c'est hors sujet, putain. Cela a des tonalités trop légères pour pouvoir insuffler une profondeur sentimentale. Et si on connaît en plus l'histoire de cette comédie musicale, ça n'arrange pas la cata. Car certes, il y a de la romance dans On the Town, mais ça met principalement en scène trois marins en permission dont l'objectif, une fois sur la terre ferme, c'est de s'envoyer en l'air avant de retourner dans leur navire. Pas le summum de la passion, on est d'accord. Il y a la sensation désagréable que Bradley Cooper (oui, le responsable en maître de ce ratage !) s'en pète les couilles de l'œuvre de Bernstein, n'essaye jamais de la faire comprendre puisque lui-même n'a pas cherché à la comprendre. De là à écrire que Cooper n'utilise la vie de Bernstein que pour assouvir son propre égo, il n'y a qu'un pas... que je franchis allégrement.


Ah oui, il y a une scène lors de laquelle on peut le voir diriger avec passion et bienveillance un de ses apprentis dans sa fonction de chef d'orchestre. Ouais, super... mais mon coco, on est à trois minutes de la fin, c'est trop tard.


Bref, si vous voulez saisir c'était quoi Leonard Bernstein artiste, ce n'est pas là qu'il faut s'adresser.

Peut-être un pâle lot de consolation avec l'homme intime (oui, "pâle consolation" parce que je suis en droit de m'attendre quand on parle de ce compositeur à ce que son art soit le sujet principal, le fil conducteur du récit, sinon autant parler de Tartampion Mouinmouin !) ? Oui, l'homme intime, celui qui cocufiait sa femme avec des hommes ? Que nenni !


Foirage absolu là aussi, aucun des amants ne donne un personnage un tant soit peu consistant. Dans la partie en couleurs, il y en a un qui paraît plus important que les autres pour le protagoniste. Ben, l'objet de son attention et de sa flamme se contente juste d'apparaître dans quelques plans, comme une simple silhouette, pour faire coucou et puis c'est tout. Et pour un autre amant, dans la partie du début en noir et blanc, Bradley Cooper est allé jusqu'à choisir Matt Bomer pour l'incarner... un acteur bien connu... certainement pour lui donner un rôle secondaire majeur... ben ouais, pourquoi choisir Bomer et pas un inconnu si c'est pour rien en faire... Ah ben non, deux courtes petites scènes sans rien de creusé et tu te casses définitivement de mon film, Bomer.


Même au-delà des amants, à l'exception de Bernstein et de son épouse, il n'y a absolument pas le moindre personnage ayant une durée de présence importante. Les enfants ? Que dalle ! Non, mais, ce n'est pas comme si des enfants constituaient une partie essentielle dans une famille nucléaire, franchement. Et puis les mioches, ça risque de voler la vedette.


Bernstein artiste, c'est niqué. Bernstein avec ses amants, c'est niqué. Bernstein, père de famille, c'est niqué. Ne reste plus que Bernstein mari.


Ce n'est pas terrible non plus, là aussi. Quand on réalise un biopic (ou un film en général !) se déroulant sur une longue période (ici quatre décennies quand même !), le plus compliqué, c'est sûrement de mettre en scène des évolutions psychologiques d'une manière efficace parce qu'il est inévitable d'avoir recours à de longues ellipses dans le temps. Ouais, gros échec... la première chose qui me vient à l'esprit pour ce qui est de ce problème, c'est à propos de l'épouse. Dans la partie en noir et blanc, on la voit accepter les liaisons homosexuelles de l'homme qu'elle aime, gros saut dans le temps, la couleur fait acte de présence, on la voit vénère d'être trompée. Pourquoi ce gros changement dans l'esprit de la femme ? Comment il est arrivé ? Mystère et boule de gomme.


Même, plus grave encore, après les deux heures et onze minutes du tout, il est impossible de dire qui était Leonard Bernstein l'homme, tellement c'est juste une suite de scènes se suivant au petit bonheur la chance, sans aboutir au moindre portrait solide. Il y a seulement un type qui lâche les vannes de son orgueil démesuré en espérant que son faux nez lui permettra de remporter un Oscar.


Oui, en effet, comme si avec tous les défauts que je viens de balancer, Maestro n'était pas suffisamment mauvais, on peut compter aussi sur le cabotinage agaçant de Bradley Cooper qui ne passe jamais à côté de l'occasion d'en faire dix mille tonnes, pour se faire remarquer le plus possible. OK, le vrai Leonard Bernstein était un être exubérant, qui ne cachait pas l'enthousiasme débordant que lui provoquait chez lui l'exercice de son art. Mais là, j'ai eu l'impression que, même hors des regards publics, il n'y a pas le plus petit instant de sobriété, de naturel qui touche même la personne la plus extravagante. Plus on fait de bruit, plus on attire l'attention.


Et, dans cet objectif, le Bradley Cooper réalisateur n'est guère mieux. Si la seconde partie en couleurs se fait assez classique dans son usage de la caméra, la première en noir et blanc se permet des effets en CGI dégueulasses dans des salles de concert, très tape-à-l'œil, pour se la péter (ouais, vous voyez ce que je suis capable de trop bien faire... ouais, des CGI dégueulasses, super !) n'apportant rien sur le plan de la narration.


Je passe sur les acteurs secondaires qui n'ont pas la plus petite matière à jouer pour mentionner la seule chose à sauver de ce machin, qui évite à ce long-métrage d'être un simple navet indigeste, à savoir l'interprétation de Carey Mulligan (qui a 35 ans au début, 35 ans au milieu, 35 ans sur la fin, oui, le budget maquillage était exclusivement réservé à Sa Majesté Bradley Cooper !), qui, dans le peu de scènes que le narcissisme de l'acteur-réalisateur consent à lui octroyer, parvient à être franchement émouvante. Heureusement qu'elle est là, heureusement qu'il y a quelqu'un qui pense à incarner un personnage, à s'effacer derrière lui, à faire son boulot, merde. Malheureusement, le talent de la comédienne, aussi énorme qu'il soit, ne peut sortir Maestro de ce barbant onanisme d'un mec sur sa propre image, de sa nullité affligeante par rapport au potentiel incroyable de son sujet. Leonard Bernstein et son art méritaient beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup plus de considération que d'être un simple prétexte à un culte du moi.

Créée

le 30 déc. 2023

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Plume231

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