Maestro
5.9
Maestro

Film de Bradley Cooper (2023)

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Maestro est un film intéressant, car il l'est sans le savoir. Je m'explique.


Attention, plusieurs spoilers dans le texte !


Dans tous biopics (attention, je ne suis pas spécialiste du genre), le personnage principal tend à ressortir grandi, magnifié voire dans certains cas rappelé à la mémoire collective (Imitation Game par exemple). Après un générique de fin se terminant sous une musique puissante, triste ou grandiloquente selon le profil du portrait esquissé, on nous a fait réfléchir sur l'héritage impérissable que ladite personne laisse derrière elle. On mesurera l'ironie selon l'œuvre sélectionnée… Mais quid de Bernstein ?


Avec Maestro, Leonard Bernstein, musicien, compositeur, directeur d'orchestre, véritable touche à tout de la musique, bénéficie d'un portrait assez particulier et c'est selon moi la véritable force du film. Car, à l'inverse de tous les biopics que j'ai pu voir, Maestro ne me fait pas aimer son sujet, bien au contraire.


Rarement présenté en tant que travailleur, Bernstein semble promis aux nues sans réels efforts, en accord avec cette scène d'introduction où la chance, le rôle important de la chance dans la reconnaissance artistique aura d'ailleurs droit à sa scène plus tard dans le film, semble le mettre sur le devant de la scène avec une réussite elliptique déjà révélatrice, le talent de Bernstein n'est pas montré.


Alors fixons les choses, je n'aime pas particulièrement les travailleurs. Pourtant, dans un biopic, montrer un personnage réussir sans travailler va à rebours du classique discours méritocratique servi à toutes les sauces et dont l'Amérique raffole depuis toujours. Premier pas de côté en faveur du film donc ? Pas vraiment, le film ne semble pas vraiment vouloir avoir ce discours disruptif, il laisse plutôt suggérer un oubli. Le luxe inhérent dans lequel évolue Bernstein n'est jamais vraiment interrogé comme si un voile pudique était jeté sur toute sa fortune.

Le film nuance pourtant avec un jardin immense où le mensonge éloigne son père et sa fille et l'appartement bien meublé est le lieu d'une dispute amère.


Je désamorce déjà les arguments contraires, il est vrai qu'à la fin du film, Bernstein montre son talent de conducteur à un jeune musicien en quête de conseil et l'on y voit l'efficacité du maestro, il s'agit d'une des scènes les plus réussies du film d'ailleurs. Pourtant ce genre de scène est très rare, on pense aussi à cette scène où Bernstein finit une œuvre chez lui et annonce la fin de son labeur à sa famille. De suite, l'on voit sa femme (Felicia Montealegre) se précipiter dans la piscine pour s'isoler de cette nouvelle comme si le travail de son mari la faisait trop souffrir.


Cette tension du couple est l'élément le plus fort du film, et c'est sous cet angle que Bradley Cooper tente d'analyser la vie de Bernstein. On pense tout de suite à cette scène, plan fixe d'une brillante intensité dans l'appartement de la famille Bernstein le jour de Thanksgiving où le couple périclite sans aucune guérison possible.


Felicia Montealegre, incarnée par une Carey Mulligan au jeu beaucoup plus léger et naturel que Bradley Cooper, mais on ne lui en veut pas car le culot de ce dernier pour remporter un Oscar avec ce rôle nous embarrasse plus qu'il ne nous froisse, est pour nous le personnage le plus réussi et le vrai sujet de ce film. En effet, Maestro réussi à faire un portrait plus intéressant de la femme de son sujet que de son héros supposé.


Vouée à une carrière d'actrice prometteuse, la femme de Bernstein paye cher de sa personne pour "rester dans l'orbite de Leonard" comme le dit la soeur de ce dernier. Sa carrière se retrouve subitement éteinte et est soudainement plus occupée à se "remémorer le planning de son mari" que de travailler son jeu, domaine où, lors du premier rendez-vous entre les futurs époux, Bernstein était qualifié de nul voire d'affreux (en dramaturgie, on précise encore).

Plusieurs autres scènes montrent Felicia s'éloigner de Bernstein tandis que ce dernier se retrouve noyé par une vague d'inconnus en quête de son exubérance et voulant lui serrer la main. Le rôle tragique est totalement endossé par le personnage féminin et le dernier quart du film enfonce encore le clou avec un cancer métastasé qui fonctionne comme un clair obscur entre les deux protagonistes de l'histoire.


Là où tout se joue selon moi, et c'est là que j'ai l'impression que le film ne se comprend pas lui-même, c'est dans sa scène de fin.


Tout d'abord, parlons de cette fin de film où le format n'est plus en 4:3 mais s'élargit lorsque Bernstein arrive pour enseigner la musique sur un campus universitaire. Ce changement de format s'aligne sur une sexualité assumée et associée à une liberté enfin acquise. On remarquera que la liberté se résume simplement à la liberté sexuelle pour Bradley Cooper car c'est avant tout sur cet angle que Cooper raconte Bernstein dans Maestro, on se rappelle l'angoisse de la mort du compositeur qui le force à faire son coming-out. Les leçons métaphysiques les plus fortes comme la crainte de la mort ou la passion musicale, leitmotiv de vie puissant pour un compositeur, sont presque toujours ramenées à l'orientation sexuelle de Leonard Bernstein, vous trouvez que c'est plutôt pauvre comme écriture de personnage ? Moi aussi.


Nuançons nuançons, bien que moins profond, Bernstein profite pourtant de quelques scènes intéressantes mais jamais exploitées, on pense notamment à la réunion de famille où son oncle lui propose simplement de changer de nom pour réussir dans la musique ou encore du silence lorsque celui-ci vient de mentir à sa fille concernant les rumeurs qui l'entourent. Mais décidément, quelque chose cloche avec ce Bernstein de Cooper.


Une fois cela posé, revenons sur l'une des dernières scènes du film, la scène en boîte de nuit dans laquelle Bernstein danse avec l'étudiant qu'il aidait plus tôt. L'utilisation de la seule musique non écrite par Bernstein est la plus intéressante, un comble ? Tears for Fears avec son morceau Shout décrit plutôt la rage rentrée de Felicia et son regret dans la mort d'être "resté sous la branche de cet oiseau qui chie" trop longtemps que le coming-out d'un homme issu d'une famille aisée qui "est un homme, ne l'oublie pas" comme le disait Felicia lors de leur premier rendez-vous.


Dans cette scène de danse rythmée par Tears for Fears, l'esthétique plastique du célèbre musicien y est particulièrement repoussante. On ne parle pas du maquillage "censé" vieillir l'acteur mais plutôt de son aspect dégoulinant de sueur, tenue vestimentaire kitsch à l'excès et des mains très insistantes qui investissent le personnage dans un rôle de, le mot de prédateur sexuel serait fort mais au moins de personnage jouant de son influence pour mettre de jeunes hommes dans son lit. Là encore, je n'ai aucun problème avec cela mais le film insiste à réduire son personnage principal à un rôle d'homme esclave de son désir et réduire Bernstein à cela est fort dommage. L'exubérance et le sexe, voilà comment Cooper résume Bernstein, en deux heures c'est plutôt maigre.


Maestro est pour moi un film étrange car il est un biopic qui tire à côté de la cible mais parvient tout de même, par une chance inexplicable, à toucher quelque chose. Le format très codifié du biopic et les images que l'on voit pendant les premières secondes du générique forcent à croire que les intentions du réalisateur sont pures, comprendre encenser le personnage mais aussi son rôle, même si on les aurait préféré plus retorses et moins consensuelles.


Les financements du film m'ont laissé perplexe : Spielberg, Scorsese, les grands pontes du cinéma américain donnant les moyens au film américain, n'oublions pas que Maestro met en scène une figure de l'âge d'or du cinéma américain, de s'auto-promouvoir aussi éhontément rend perplexe, surtout que la qualité du matériau final est plus que moyen.


Seppuku
5
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le 22 déc. 2023

Critique lue 54 fois

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