La puissance de Madre tient à ce cadre estival hors du temps qui constitue à la fois un conservatoire du traumatisme passé et un espace de rétablissement tendu vers un avenir radieux, une zone de turbulences pour une femme et ses proches qui n’obéit à aucune règle, qui ne dispose pas d’un bornage moral mais qui finit par se heurter à l’impossibilité d’une substitution. Rodrigo Sorogoyen réussit magnifiquement à composer un personnage principal à mi-chemin entre le rêve et la réalité, un être de fiction dont le combat intérieur est à ce point constant et contenu qu’il le raccorde à une authenticité éprouvante : toujours prête à vaciller, flottant pieds nus sur les sols qu’elle arpente– le sable de la plage, le revêtement de son appartement –, Elena apparaît comme un fantôme, aussi discrète dans ses fréquentations qu’efficace dans son emploi de gérante d’un restaurant. Le français utilisé en langue étrangère accentue cette impression d’exil volontaire, de purgatoire vécu sur un paradis terrestre. Et au milieu du chaos, une rencontre. Celle d’un adolescent, d’un garçon, d’un fils. D’un amant également.


Le trouble que génère le long métrage s’avère remarquable en ce qu’il s’impose de lui-même, évident, naturel : il bouleverse par le destin déchirant qu’il programme, accéléré par les parents de Jean, accepté par Elena en guise de clausule. Madre raconte le deuil comme une histoire d’amour, affirme que la seule façon pour une mère de faire ses adieux à son enfant est de renoncer à l’approche thriller initiale (chercher la justice, obtenir réparation alors qu’une disparition ne saurait être réparée) pour mieux choisir la romance estivale et, par la superposition de l’être perdu sur un être aimé, le ressusciter et l’offrir à la vie. Un acte de foi en la puissance de l’amour magistralement réalisé et interprété – immense Marta Nieto –, qui recourt au calme et la fluidité pour exprimer le tumulte d’une intériorité tourmentée. L’un des plus beaux films de l’année 2020.

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le 18 janv. 2021

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