
Je n’attends plus rien de Luc Besson, j’ai espéré longtemps qu’il pourrait aider le cinéma français à trouver le succès international qu’il mérite, d’autant que c’est ce qu’il semblait vouloir faire. Sauf que j’ai vite compris que, si Besson pouvait être le sauveur financier de notre Septième Art, il est en serait aussi le fossoyeur artistique. Aujourd’hui, l’objectif du bonhomme est de vendre le cinéma français au plus offrant, partout dans le monde, en le transformant en cinéma américain. Résultat, un cinéma dénaturé, copié-collé sur ce que peut produire Hollywood et ce ne sont pas les mentions Canal Plus, TF1 et Europacorp qui suffiront à démontrer le contraire. Un cinéma dont l’objectif affiché est de faire un maximum d’entrées en plaisant à la masse, donc en n’ayant rien à dire puisque dire quelque chose implique de déplaire à certains.
Lucy commence sur un mensonge, ou en tout cas sur une théorie fumeuse qui n’a jamais été validée et a toujours été invalidée, celle que nous n’utiliserions que 10% de notre cerveau. Si vous voulez savoir, les Raëliens soutiennent cette théorie, information qui j’en suis certain, vous aidera tout d’un coup à relativiser sa véracité. Il se trouve que Lucy (l’héroïne) se retrouve a ingérer une grande quantité d’une drogue qui l’amène à utiliser 100% de son cerveau, chose dont Besson rêve pour lui-même depuis un bout de temps. Elle se transforme donc un Wonderwoman, capable de changer d’apparence, de lire les ondes des téléphones et de manipuler les autres (entre autres improbables exploits).
Sur le fond ce film est une vaste plaisanterie qui se recouvre d’un verni pseudo-scientifique, pour faire croire à la masse des spectateurs pop-co(r)nisés qu’ils ne sont pas totalement stupides, mais qu’ils sont bien devant un film intelligent, presque scientifique. Alors bien sûr, on peut dire que Besson a le droit de raconter des cracks, Dan Brown l’a fait avec succès. Mais c’est toujours un problème quand ça part d’une théorie réellement existante et qu’en plus la mise en scène tend à la faire passer pour exacte. Sauf que le verni n’accroche pas et qu’au final, on se retrouve devant un Taxi du riche qui, sous prétexte d’exposer une théorie et de la traduire dans le scénario, ne fait qu’enchainer des scènes d’action foirées et inutiles qui rendent presque nostalgique d’un Léon ou d’un Cinquième Élément.
Car sur la forme Lucy est, de loin, le plus catastrophique des Besson. C’est rempli d’incohérences et de scènes irréalistes, on oubliera vite la demoiselle qui, le bide à peine refermé, est capable de tailler un sprint qui ferait passer Usain Bolt pour un paraplégique. N’oublions pas non plus cette scène dingue avec cette rangée de voiture de Yakuzas, tous fusils-mitrailleurs au poings et prêts à en découdre, de l’autre côté de la rue (à 10m quoi…), les flics débarquent sans remarquer les gangsters et leurs énormes armes. Cerise sur le gâteau, ces scènes animales très démonstratives, qui n'apportent rien d'un point de vue artistique et prennent le spectateur pour un imbécile qui n'aurait pas compris que Lucy était dans les ennuis. Petite nuance M. Besson, le guépard tue la gazelle par nécessité, alors que dans le film les yakuzas s'en prennent à Lucy par intérêt, mais le concept de nuance vous échappe. On se demande aussi très souvent ce que le film raconte, à part exposer la galerie des effets secondaires d’un cerveau au taquet. Il y a bien une vengeance vite expédiée et cette histoire de léguer ses connaissances, mais on y croit si peu. Le syndrome Taxi pointe d’ailleurs le bout de son nez au détour d’une course en voiture dans les rues de Paris, tout aussi inutile que loupée, Besson casse de la tôle comme un môme écrase des fourmis, ça ne sert à rien, mais on sent que le gamin s’est amusé.
Côté acteurs, le casting ne sert à rien, retranché derrière les effets spéciaux et l’action, ils ne tentent même pas de surnager. Morgan Freeman est presque inutile et sa rencontre avec Lucy n’occupe en gros que les vingt dernières minutes. Scarlett Johansson a rarement été si peu à son avantage, sorte de poupée malmenée par les événements, elle n’a jamais le temps de construire une émotion, de créer une réelle interprétation et ne reste qu’à la surface d’un personnage qui n’a pas d’épaisseur, car Besson n’a même pas pris la peine de nous le présenter.
Bref, Besson tente maladroitement de faire un film d’action raté et en oublie tous les principes de ce qui fait normalement un scénario. Il n’a pas de chronologie donc aucun fil conducteur pour mener son histoire d’un point A à un point B, il ne caractérise pas ses personnages (on sait juste que Lucy étudie et a une maman, quant à Morgan Freeman, on sait juste qu’il est chercheur) et les rend donc sans intérêt. Bref, Besson est un mauvais réalisateur depuis un bon bout de temps et un excellent businessman depuis toujours. Sa fin en clin d'oeil écoeurant (voulu ?) à celle de 2001, avec en plus un petit "doigt de Dieu" (sans déconner) en est une preuve excellente. Il est convaincu que vendre des tickets est bien plus important que de raconter quelque chose de profond et, si pour faire du fric, il faut conforter la plèbe dans sa bêtise crasse, alors M. Besson est prêt à faire en sorte que nous utilisions encore moins que 10% de notre cerveau. Pour Besson, le cinéma n’est plus un art, c’est aujourd’hui un business…