Luck
5.7
Luck

Long-métrage d'animation de Peggy Holmes (2022)

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Pixar est mort, vive Pixar ! (suite)

Sam est une jeune fille qui a grandi dans un orphelinat. Malheureusement, elle n’a jamais eu la chance d’être adoptée et à ses 18 ans, elle doit emménager dans son propre appartement et vivre sa vie. Malchanceuse par nature, elle voit un jour un mystérieux chat noir lui donner une pièce porte-bonheur, qui lui permet enfin de connaître la chance. Tout se passe bien jusqu’au jour où elle la perd malencontreusement. Elle part alors à la recherche de l’étrange chat noir, et aboutit dans un univers où toutes les créatures travaillent à créer la chance et la malchance…


Je m’interrogeais dans ma dernière critique sur ce que Pixar, autrefois le plus grand studio d’animation en activité, était devenu et allait devenir. Les ratés d’Alerte rouge et surtout du très décevant Buzz l’éclair cette année semblent justifier plus que d’habitude de tirer le signal d’alarme, tant il est à craindre que les studios Pixar ne soient déjà en situation de coma profond avant de mourir définitivement dans les années à venir… Peut-être même assassiné directement par Disney qui pourrait bien profiter des résultats décevants de Buzz au box-office pour réduire Pixar à une simple branche supplémentaire de Disney+.

Mais pendant que Pixar meurt à petit feu, victime de la cancel culture, du wokisme, et de la VOD, et de tous les autres mots farfelus désignant de bien sinistres réalités, c’est peut-être pourtant bien grâce à la VOD que les studios à la lampe pourraient revivre sous un nouveau nom. On ne l’aurait jamais cru, mais cette résurrection pourrait bien prendre le nom de Skydance Animation.

On se souvient en effet d’une des pages les plus sombres des studios Pixar, quand leur directeur et créateur John Lasseter, grand génie de l’animation s’il en est, se fit chasser sans scrupules de l’entreprise qu’il avait magnifiquement façonnée à son image, pleine de rigueur et de générosité. Mais Lasseter eut raison de ses ennemis et son départ se transforma vite en arrivée, à la tête d’un tout nouveau studio d’animation qui n’avait encore produit aucun long-métrage : Skydance Animation. La question qui nous brûla immédiatement les lèvres fut évidente : John Lasseter réussirait-il à renouveler le miracle qu’il avait créé avec les studios Pixar. Et à la vue de ce premier long-métrage d’animation du studio naissant, la réponse semble elle aussi évidente : oui.

Si John Lasseter est parti de Pixar en emportant avec lui toute la créativité, l’originalité et l’humour du studio, il les a offerts sans se gêner à son nouveau foyer.


Bien sûr, Luck n’est pas un chef-d’œuvre. Lasseter étant arrivé dans le studio alors que le film était en cours de production, on peut légitimement supposer qu’il n’a pas eu la main sur tout le film, et cela se voit. En effet, le film de Peggy Holmes a quelque chose d’hybride. Génial dans sa conception globale, il connaît toutefois quelques baisses de régime et surtout de grosses faiblesses scénaristiques.

Tout d’abord, dans l’écriture même de son univers, Luck rencontre un (petit) souci. Le message du film étant de nous dire que la chance et la malchance sont irrémédiablement liés et qu’on ne peut pas les séparer, on se pose alors des questions sur ce monde où la frontière entre les deux est extrêmement stricte, où la chance ne doit pas entrer en contact avec la malchance et vice-versa. Le concept rencontre vite ses limites, comme par exemple dans le fait que la malchance semble voyager à travers des graines qui sont strictement interdites en Terre de Chance. Jusque-là, pourquoi pas, mais alors, pourquoi Sam continue-t-elle à subir sa légendaire malchance, alors qu’elle n’a aucune graine sur elle ? On comprend bien sûr que la malchance est inhérente à sa personne, mais alors pourquoi ne flaire-t-on pas davantage son manque de chance ? Le scénario n’a pas à répondre forcément à ses questions, mais tant qu’il ne le fait pas, on peut légitimement soupçonner un manque de rigueur dans l’écriture.

D’ailleurs, la réaction des habitants de la Terre de Chance lorsqu’ils découvrent la poisse de Sam est révélatrice d’un autre problème du film : tout le monde est bien trop gentil. Ce recul systématique devant la cruauté n’est pas aberrant en soi : l’absence de vrai méchant est tout-à-fait logique au vu des enjeux posés par le scénario, et semble beaucoup moins forcée que chez Disney. Mais tout de même, on ne comprend pas que les personnages se mettent si peu en colère lorsqu’ils découvrent qu’on leur a menti, qu’on a triché impunément sous leurs yeux, et qu’on a détruit une partie de leur univers du fait de la simple inconséquence de certains personnages. Cela manque d’équilibre, et tend à trop réduire Luck à un film pour enfants alors qu’il est (ou en tous cas, devrait être) bien plus que ça.


En parlant d’équilibre, il faut d’ailleurs bien reconnaître que le scénario aurait pu être mieux réglé. La partie « exposition de l’univers » semble effectivement trop longue (mais elle est si savoureuse qu’on ne saurait en vouloir aux scénaristes) pour laisser les enjeux se déployer correctement dans le dernier tiers du récit, et il faudrait vérifier chaque péripétie pour être sûr que chacune d’entre elles serve l’intrigue (j’avoue avoir tenté ça en écrivant cette critique, et m’être rendu compte que les quelques contradictions que j’avais cru repérer ne tenaient plus… un bon point pour Luck !).

Au risque de faire durer le film 2 heures, il aurait peut-être été judicieux de compléter quelques manques ou rapidités dans le scénario, pour donner plus d’ampleur à celui-ci, par exemple en insistant davantage sur l’influence concrète que peut avoir l’univers de la Chance sur celui des humains (c’est abordé, mais ça aurait pu l’être plus). Peut-être cela aurait-il pu renforcer également l’émotion (quasiment absente du film malgré de belles tentatives, à moitié fructueuse).


Enfin, dernier détail qui devrait s’améliorer de film en film : Luck aurait pu profiter d’une plus grande ampleur visuelle. L’univers de la Chance fourmille déjà pas mal de détails, mais ses décors auraient pu être plus riches, il y a encore beaucoup de grands espaces un peu vides, pas assez meublés, aux murs lisses, etc. Ce n’est pas une faiblesse flagrante du film, mais l’architecture des lieux aurait probablement pu être renforcée. De même, si certaines textures sont très travaillées et donc très réalistes (certains tissus, les cheveux et poils, etc.), d’autres ont un rendu qui mériterait d’être achevé (les racines vivantes, toutes les surfaces minérales, etc.). Mais en l’état actuel, et surtout pour un premier film de studio, aux moyens probablement limités, Luck ne démérite vraiment pas !


Je me suis étendu assez longuement sur les défauts, mais cela ne doit certainement pas masquer les réussites du film. Si les défauts susmentionnés montrent qu’évidemment, Skydance Animation n’est pas encore Pixar, le film partage de nombreux points communs avec le studio à la lampe, qui nous permettent de voir avec joie ce que Lasseter a (probablement) apporté au film, et ce n’est pas négligeable, loin de là !

Ce qui évoque le plus les grandes heures des studios Pixar, c’est évidemment l’originalité de l’univers, et les efforts impressionnants de construction qui lui ont été apportés. Le concept est exploité à 200 %, et on imagine bien que Lasseter n’y est pas étranger. Le film donne donc brillamment vie à ces concepts abstraits et identifie avec finesse tous les petits tracas du quotidien, tout comme ses petites réussites. Lorsqu’on est transporté dans le monde parallèle de la Chance, le scénario s’envole littéralement et nous propose une suite de séquences à la fois enchanteresse et craquantes, où les farfadets, cochons porte-bonheurs et autres trèfles à quatre feuilles sont source d’un humour et d’une magie de tous les instants (il faut voir le traitement réservé à la licorne, un des personnages les plus drôles du film).

Ainsi, tout fourmille de détails absolument hilarants, et où qu’on pose les yeux dans les plans situés en Terre de Chance (ou de Malchance), on ne peut qu’y trouver un élément bourré d’humour. L’humour, d’ailleurs, est très rafraîchissant : il est souvent inattendu, très bien trouvé, et ne descend jamais en-dessous de la ceinture. Parfois un peu faiblard (la scène de la danse chez les lapins), il provoque un rire sain qui fait beaucoup de bien.


Délaissant absolument tous les délires woke qui commencent à se faire sentir de manière de plus en plus pesante dans la concurrence, Luck ne joue jamais cette carte, et mérite d’être mille fois respecté pour cela. Il revient ainsi aux fondamentaux des studios Pixar et Disney, à ce qui nous avait émerveillé chez eux autrefois : Luck s’adresse à tout le monde. Inclusif dans tous les sens du terme, le film de Peggy Holmes n’a pas besoin de ressasser toujours les mêmes clivages pour soi-disant les dépasser (alors qu’ils ne sont en réalité que plus marqués par les prétendus woke). Ainsi, Luck est mille fois plus universel qu’un Buzz l’éclair qui veut à tout prix imposer une fausse diversité comme pour s’excuser d’avoir mis en scène un mâle blanc. Ici, aucun personnage n’est réduit à sa couleur de peau ou à sa sexualité, et cela fait un bien fou.

Enfin, on gagnera à voir le film en VO tant le casting vocal s’en donne à cœur joie : de Simon Pegg à Jane Fonda en passant par Whoopi Goldberg et John Ratzenberger, chaque voix est exactement à sa place et offre de belles prestations qui renforcent la réussite du film. On pourra dire de même de la partition de John Debney, jamais plus efficace que quand elle s’amuse à pasticher la musique traditionnelle irlandaise. Sa partition contribue fortement au dynamisme du récit, et crée une véritable alchimie grâce à ses thèmes identifiables.


Ainsi donc, grâce à son concept très bien exploité, à ses personnages sympathiques ou à son scénario malin, Luck convainc totalement. Et même si les défauts sont nombreux sur le détail, on peut encore à ce stade attribuer les faiblesses du film à son statut de première œuvre (très prometteuse) d’un studio naissant. Et si les films suivants du studio doivent être de cet acabit, voire au-dessus, c’est peu dire qu’on a hâte !

Et alors que ma critique précédente s’achevait sur une touche bien triste en évoquant la mort de Pixar, Luck apporte une lueur d’espoir, espérée mais inattendue, qui vient nous rappeler juste à temps que Pixar est bien plus qu’un nom mais qu’il s’agit avant tout d’un esprit. Qu’il se propage sous le logo de la lampe ou sous un autre logo a finalement peu d’importance. Et on peut désormais se reposer sur nos deux oreilles : l’esprit Pixar n’est pas mort. Non, il n’est pas mort, il n’est même qu’à l’aube de sa seconde vie, et on peut très légitimement espérer le voir continuer à produire ses fruits longtemps encore.




Tonto
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le 8 août 2022

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