Alejandro Fadel est le scénariste de trois des derniers films de Pablo Trapero (Elefante Blanco, Carancho et Leonera). Et le voilà ici pour sa première réalisation (il a également écrit le scénario, évidemment). Il nous sort un film de deux heures, et surprise, sans énormément de répliques. Il y a de ces films qui nous fascinent comme ça, juste par le jeu de l’acteur et par notre esprit qui se met en fonction sur les images que l’on voit. Le film se déroule, pour les trois quarts du temps, à l’extérieur. Entre montagnes, plaines et bois, cinq adolescents sont filmés durant leur périple après leur évasion d’un centre de détention.

Le cinéaste argentin aime les plans d’ensemble sur le très beau paysage de son pays. Il n’hésite pas (comme pour le plan final), à filmer juste le bois ou les montagnes sans ses acteurs, sans rien qui se passe à l’écran. On retrouve cela notamment chez les frères Coen, des amoureux des espaces qu’ils filment, un sentiment qu’il faut à tout prix filmer ce paysage pour ne jamais l’oublier. Et c’est à travers tous ces paysages et ces plans d’ensembles que traverseront les gros plans et les personnages du film. Une inclusion de l’homme dans la nature pour y le replacer dans son état primal.

En effet, plus le film avance, plus les personnages vont se déconstruire. Leurs personnalités vont tomber (il suffit de regarder le contraste entre la scène de l’évasion et la fin) une par une. Ici, les adolescents sont un bon prétexte pour parler de sauvagerie. On connait les jeunes pour leurs absurdités et leurs dérèglements. Avec ce film, les adolescents représentent l’humanité toute entière : quand l’humain est lâché en liberté et qu’il désire advenir à ses désirs, il est prêt à tout. Tellement prêt à tout qu’il en redevient un animal. Mais un animal sauvage, ce qui fait reculer l’humain dans son évolution. Ce film est donc un retour progressif de l’état d’humain à l’état primal.

Ces adolescents lâchés en pleine nature retournent petit à petit à leur état primal. Ils doivent donc chasser pour se nourrir. Des fois, ils grimpent aux arbres pour dormir. Ils essaient désespérement de trouver une rivière. Ils se perdent. Le paysage décrit dans le film est très hostile et surtout très rugueux. Cela réapparait dans les images : rares sont les couleurs claires, le film est surtout composé de couleurs foncées, voire très sombres (il suffit de regarder l’affiche du film pour comprendre la photographie du film). Chapeau au chef opérateur pour avoir réussi à rendre ces images très mystiques.

Mais aussi, les adolescents tuent tous ceux qu’ils croisent sur leur passage. Notamment pour de l’argent, de la drogue voire même de la nourriture. Ceci nous fait entrer dans un western. Attention, pas un western avec des cowboys ou des indiens, pas des westerns à la Leone ou à la Ford. Mais un western moderne et sensoriel où tout passe par la contemplation et l’attente. Avec de jeunes acteurs formidables, Alejandro Fadel n’a pas eu de mal à avoir ce qu’il veut dans ses plans. Car ce western est une montée vers la transcendance où l’ennemi n’est autre que le paysage dans lequel les adolescents ne savent pas où ils vont.

Ce western moderne est une puissance des corps, où la violence bête et dure est écartée du monde dans lequel on vit. Le plus important dans ce western et dans cette puissance des corps, le cinéaste a pris soin de faire passer, chacun leur tour, ses personnages au premier plan. Un amour évident de ses personnages, puisque chacun aura son importance, qui causera la suite du film. On pourra reprocher que ces disparitions progressives des adolescents n’arrive qu’au bout d’une heure. Une heure de fascination et de découverte des motivations et des obstacles.

Finalement, Los Salvajes est un film qui, plus il avance dans la durée, fait chemin arrière dans l’histoire de l’homme, retournant à son état sauvage. Avec une mise en scène éblouissante et fulgurante, Alejandro Fadel nous livre un western moderne avec la puissance des corps où la violence aveugle est écartée. Le cinéaste argentin fait pousser des ailes à ses personnages pour essayer de les sortir de cet enfer dans lequel ils se dirigent, cet enfer de la sauvagerie. En vain.

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Auteur : Teddy
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Créée

le 16 avr. 2013

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