Les bleus des mères, Le blues des filles, oh my Little Blue Girl de Mona Achache

C’est un film de filles, un film de femmes aux destins ravagés, écrabouillés par le poids de l’archive, un film à la mémoire des mères génitrices et sacrificielles, un film au désespoir de la lacune des pères.


Dans une œuvre hybride, dense et atypique, exigeante et mélancolique, Mona Achache fille de Carole Achache, écrivain et photographe de plateau, elle-même fille de Monique Lange éditrice et écrivain de la belle époque des penseurs et poètes célèbres tels Marguerite Duras et Jean Genet, Mona donc se lance dans une enquête documentaire impérieuse sur les raisons du suicide par pendaison de sa mère.

D’où monte l’archive ?

Le film s’ouvre sur la masse d’archives laissées par la mère( photographies, carnets, agendas de toutes les tailles, livres, textes épars, enregistrements sonores) jonchant tel un syndrome de Diogène le sol, les murs, les psychés du lieu.


Ces images (des milliers de feuilles et photographies, lierre vigoureux et anémié recouvrant et dévorant tout l’espace d’un bureau où la réalisatrice attend son actrice Marion Cotillard) sont sidérantes. Ces amoncellements d’archives inanimées et cependant tellement vivaces produisent l’enjeu du film: à la fois redonner vie aux archives et les dépasser. Animer l’archive pour l’exorciser et ne pas mourir englouti par l’histoire dont elle est l’empreinte morte.


Une enquête psycho-documentaire


Mona Achache nous embarque dans une aventure réflexive, sensible et profondément intelligente, une sorte d’investigation romanesque, psychagogique, sociologique sondant les traumas transgénérationels qu’ont subi sa mère Carole donc, et sa grand mère Monique, qui fût dans le contexte libertaire des années 1960 une adolescente sacrifiée, objets des souillures verbales de Genet et des perversions de son amant.


Dans ce montage prenant et passionnant que la réalisatrice effectue, elle convoque en muse transformiste Marion Cotillard.


Marion à l’effigie de Carole

L’actrice docile, visage-palette vierge et plastique revêt dans un silence imperturbable et un jeu insolite les restes et effigies de la panoplie de Carole Achache (ses chaussures, son gilet, son jean, son collier). La scène tient presque de la cérémonie mortuaire et sonde l’enjeu du film, son esthétique, son défi: faire de la vie avec la mort. Faire du bougé, du bouleversé avec des traces inertes et immobiles: papiers, carnets, photographies, voix. INCARNER. COMPTER SUR L’AUTRE. L’ACTRICE. LUI FAIRE CONFIANCE POUR VIVRE ET RESSENTIR MIEUX . S’asseoir et compter . Sit there count your fingers.


Et puis il y a le fond, la transmission d’une emprise de soumission, la transmission d’une vie pleine de fascinations et de morbidités, d’audaces et de ratages, la transmission d’une sorte de gène qui aurait nom: cafard, spleen, mal être ou absence de confiance en soi que la mère note dans son journal. Contre sa propre mère. Pour sa fille.


Toujours la toxicité des passés, les répétitions des parcours de vie au présent( Marion Cotillard en mode pause remarquera adroitement: pourquoi répéter une manière de boire le thé si ça a déplu?) comme si la répétition pouvait venir réparer le chagrin et maitriser ce que ressent la Little Blue Girl du titre.

What else, what else is there to do?

Réécouter Nina Simone, réecouter Janis Joplin chanter cette Little Girl Blue et savoir que Mona Achache fait avec son film-vie ce qu’il y a d’autre à faire: rien d’autre que d’aller de l’avant and sit there count your fingers.


La critique entière sur le magduciné: https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/little-blue-girl-film-mona-achache-avis-10065129/

VioletteVillard1
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Créée

le 21 nov. 2023

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