Depuis un certain temps, Casey Affleck nous sort de plus en plus d'œuvres ayant chacune une puissance personnelle très marquée autant en tant qu'acteur que réalisateur (voir A Ghost story ou encore Manchester By The Sea). On sent une vraie envie de s'exprimer et non une manie à faire des films pour compléter une carrière et sortir ainsi une œuvre sans constance comme tant d'autres.


Light Of My Life est en parfait accord avec cette dynamique. Depuis un postulat désormais connu (voir La Route en film ou The Last Of Us en jeux-vidéo), Casey Affleck s'exprime sans trop de détour sur sa vision de la vie. Bon, comme tout bon américain, il nous parle toujours des mêmes choses (la religion, la morale...) bien qu'on ait à lui reconnaitre qu'il essaye d'y donner une réelle forme. Le propos ne va pas très loin, se ramenant très vite à un utilitarisme creux (par définition). Mais Casey Affleck nous illustre les fins (et commencements, ce qui est la même chose ici malheureusement) de ses pensées de manière très claire et appréciables dans la forme. Cette forme est de plus très travaillée même si peu originale désormais. En effet, on retrouve le décentrage des points d'intérêts, les plans de maisons calmes et la teinte mat et presque terne du cinéma indépendant américain (déjà presque totalement mainstream en voyant ce genre de création). Et bien que l'œuvre soit tout à fait agréable par l'aspect très travaillé et un peu recherché de la forme, celle-ci ne sort pas du lot de films indépendants américains comme dit plus tôt alors que certaines œuvres nous ont prouvé qu'on pouvait dégager beaucoup plus de sens dans la recherche de ces matériaux. On peut penser à "A Beautiful Day" pour les plans calmes en accord réel avec une géométrie fine (voir les natures mortes du manoir) mais surtout "A Ghost story" cité plus tôt dont le cadre respecte parfaitement celui du lieu dans ses pans. Pour ce qui est de la teinte, on peut voir d'un côté "Lady Bird" dans l'aspect plein de vie du mat et d’un autre côté "The Witch" de Robert Eggers pour la teinte grisée du mat cette fois et le décentrage des points d'intérêts. On retrouve aussi, comme chez beaucoup, l'influence de Edward Hopper dans la représentation paisible des maisons américaines (je pense notamment au plan de 2-3 secondes en semi-contre plongée du haut jaune de la maison avec le ciel parfaitement bleu derrière). Mais même ici, on ne retrouve qu'un décalque appréciable mais sans grand fond et réelle dynamique originale comme on pourrait avoir chez Argento par exemple (avec Nighthawks et les arcades de Profondo Rosso).


Et bien que tout soit effectué consciencieusement, des tentatives de légères envolées lyriques gâchent la dynamique et même le rythme du film. Ces multiples scènes filmées de dessus pour les discussions sont à force un outil pratique et non un matériel créateur. Et même les regards de sa fille qui sont premièrement très touchants et plein de sens sont répétées suffisamment (rien qu'en une répétition certaines fois comme avec


le plan final


) pour perdre leur substance et ainsi appuyer une morale qui jusqu'ici était suffisamment peu teintée. Donc, oui, certaines scènes utilisent parfaitement les bases déjà bien posées de ce genre de cinéma indépendant mais on ne sent pas un talent ou un génie créateur/innovateur suffisant pour que les rares écarts originaux maintiennent pleinement la continuité de l'œuvre. Et c'est bien dommage car les talents d'acteur de Casey Affleck sont bien là, il sait garder les distances et appuyer comme il faut les émotions mais malencontreusement, il n'arrive pas, en tant que réalisateur, à dépasser un certain stade de création (ce qui rejoint hélas l'avancement de ses propres dissertations).


Bref, je recommande ce film mais préviens d'un léger arrière-goût de "dommage, à pas grand chose, c'était proche du génial". Mais il faut tout de même reconnaitre qu'un certain nombre de séquences sont pratiquement entièrement très bien construites, le jeu de tension n'étant oublié dans aucun plan et la construction de la perception de l'espace étant très habile sans qu'elle ne paraisse présente qu'à un niveau pleinement informatif pour le spectateur. C'est donc avec pas mal de regret que ce film me laisse légèrement déçu car il avait les capacités peut-être pas d'être un chef-d'œuvre mais au moins de proposer une œuvre réellement marquante.


Pour quand même finir sur du positif, je conseillerais ce film aussi pour la raison qu'il illustre très bien beaucoup d'aspects de la construction d'un film indépendant américain actuel (dont font partie ceux cités plus haut).

Aliochka
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2020

Créée

le 17 août 2020

Critique lue 177 fois

2 j'aime

Aliochka

Écrit par

Critique lue 177 fois

2

D'autres avis sur Light of My Life

Light of My Life
Behind_the_Mask
8

Just a girl

Il y a dix ans, John Hillcoat adaptait Cormack McCarthy avec La Route, en narrant l'errance, sur fond de post apo, d'un père et de son fils. Il y a deux ans, en plein tremblement de terre #Metoo,...

le 12 août 2020

44 j'aime

6

Light of My Life
Velvetman
7

Le féminin comme motif

Après son vrai faux documentaire qui avait étudié avec ironie la retraite de Joaquin Phoenix, Casey Affleck retourne enfin derrière la caméra avec le dénommé Light of my Life. Un film post...

le 2 sept. 2020

22 j'aime

3

Light of My Life
Accablante
5

Pourquoi y a t-il toujours des vieux journaux dans le grenier ?

Vu à l'occasion de la Cinexpérience #169 (Merci senscritique !). Ce sera une critique courte pour râler... Ce n'est pas un mauvais film en soit. Le duo d'acteurs est sincère, leur relation touchante...

le 4 août 2020

17 j'aime

3

Du même critique

La Marseillaise
Aliochka
1

Critique de La Marseillaise par Aliochka

Je vomis, en totale conscience de ce que cela représente, toute hymne patriotique. Quelle horreur que ceci fasse ressortir des sentiments, chez beaucoup, autres que le dégoût et la colère. On a, par...

le 6 juin 2022

2 j'aime

Cold War
Aliochka
9

L'épopée tragique des sentiments

Pawel Pawlikowski nous offre sûrement par ce film son travail le plus abouti et sur lequel il a le plus travaillé. Cette histoire d'amour passionel entre ces deux êtres que les frontières ignorent...

le 5 mars 2019

1 j'aime

Climax
Aliochka
8

Ce jour-là, c’est la répétition de tous les autres

Climax est une expérience extraordinaire, une des plus terrifiantes, une des plus humaines, une des plus fortes. C’est un syndrome de Stendhal d’une heure trente que Gaspar Noé nous propose. On est...

le 31 mai 2020

1 j'aime