L'épopée tragique des sentiments

Pawel Pawlikowski nous offre sûrement par ce film son travail le plus abouti et sur lequel il a le plus travaillé. Cette histoire d'amour passionel entre ces deux êtres que les frontières ignorent est inspirée de l'histoire de ses parents. Ceux-ci, tout du long de leur vie, continueront sans cesse de se séparer pour encore mieux se retrouver. C'est donc ce schéma que le spectateur retrouvera lors du visionnage. Ainsi les deux êtres autant fusionnels qu'indépendants se croiseront et se chercheront pendant plus de 20 ans.


Le film commence ici par des chants et musiques folkloriques interprètés par des moujiks. Ainsi le réalisateur nous raccroche immédiatement à un lieu, un temps, un pan de l'histoire qui viendra, nous le verrons, impacter et empêcher la fuite et la fougue sentimentale de ces deux personnages, wiktor et zula. Wiktor, lui, organise une troupe de danse et de chants pour valoriser la culture folklorique. Il est initialement présenté comme un homme droit, apaisé et qui ne se fait pas remarquer. Cette tension envers lui-même se libère par l'art, notamment le piano qu'il manie à merveille, emplissant de sa musique parfaitement orchestrée le foyer de sa future rencontre.


C'est là qu'arrive zula qui se montre déjà originale et anticonformiste au regard de ses camarades préparant nerveusement leur prestation. Pour elle, la préparation n'est pas nécessaire, son chant n'est pas encore choisi, sa spontanéité la desservant de toute nervosité. C'est ainsi qu'est zula : folle pour les autres, vraie pour elle-même, à l'extérieur des gonds d'un communisme censeur.


Wiktor a ce qu'on nomme communément un coup de foudre, il appuie dès lors la prestation de zula pour la faire accéder à sa future troupe. Devant cet homme droit, zula paraît fébrile, à la frontière de fondre entre bonheur et destruction. Mais wiktor n'a pas le rapport faussement usuel de l'homme fort face à elle. Lui, bien qu'étant tranquillisé par sa posture sociale si importante à cette période, il n'est rien face à la force des sentiments et le brut des expressions de zula. Ainsi personne ne mène le couple même si le terme peut tromper, wiktor représente le rationnel et la logique alors que zula représente la force, l'innocence et la tendresse enfantine. Le lien qu'ils créent est à la fois une preuve d'amour, de défiance et d'entraide.


La vitalité surhumaine de zula n'est qu'un masque pour son mal-être existenciel, c'est ainsi que le besoin se créé pour elle de vivre en mouvement continuel, d'éviter tout schéma de vie monotone ou préexistant. Ainsi, zula par ce mouvement se force à s'éloigner de toute remise en cause de son paradigme existenciel, non pas par un cache de la vérité qu'elle créerait mais par une impossibilité pour elle-même de se regarder réellement dans un miroir; elle se sait destructrice pour elle-même et pour les autres. Cette destruction inévitable et cette vitalité sans fin se démarque et trouve son apogée dans une scène de danse sur un comptoir où le geste cache le corps.


Wiktor paraîtra vouloir suivre et s'accrocher. Il sera l'objet devant le miroir et non le reflet lointain qu'est zula. Les regards se croisant par un chemin qui diffère de la vision du spectateur. Dès lors, les poursuites et les retrouvailles s'enchaînent; les personnages se mystifient. Les ellipses ne montrent plus que la passion, l'épopée est devenue immatérielle. Mais c'est là que l'Histoire rattrape l'utopie, la restriction et les frontières ont terminé de faire fit de leur amour. Désormais, le mouvement ne se libère plus dans le voyage mais se réduit sur lui-même jusqu'au point de chute dénotant la tragédie sous-jacente à leur amour.


Cold War est donc une histoire d'amour, une épopée, un rêve créé par deux amants fuyant la réalité du monde et la vérité de leur propre univers.

Aliochka
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le 5 mars 2019

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