Débuter une nouvelle année cinéma avec, d’entrée, la sortie d’un nouveau film de Paul Thomas Anderson : voilà qui n’est pas anodin tant le cinéaste a pu nous impressionner à diverses reprises par le passé. Retour dans les seventies avec Licorice Pizza, promesse d’une parenthèse enjouée et insouciante.


Le réalisateur américain nous avait laissés sur une note d’amertume avec Phantom Thread, non pas pour désigner un film qui manquerait de qualités car c’est bien tout l’inverse, mais ce dernier film montrait l’amour dans ce qu’il a de plus brutal et cruel, illustrant l’ambition insatiable d’amants se dévorant mutuellement, trouvant dans leurs instants de faiblesse des moments de grâce sincère. A cette froideur manifeste succède donc la chaleur d’un été californien, à une époque marquée par de grands bouleversements sociaux et économiques, où la jeunesse américaine rompt avec les traditions pendant que le choc pétrolier alerte déjà sur les abus d’un monde en passe d’être devenu dépendant de cet or noir, si ce n’est pas déjà le cas.


Licorice Pizza s’intéresse principalement à cette rencontre fortuite entre cet ado enjoué et débrouillard et cette jeune femme un brin farouche mais surtout mue par une volonté de se trouver et de se libérer des carcans familiaux. A cet instant, elle lui présente un miroir pour qu’il puisse se recoiffer en vue de faire sa photo pour le fameux yearbook de son lycée, pour qu’il puisse admirer son reflet. Mais se regarde-t-il lui ou la regarde-t-il elle ? De cette question découle tout le cheminement de Licorice Pizza, où deux caractères, deux visions du monde, s’affrontent et se retrouvent dans le cadre d’un cycle perpétuel, comme une chanson avec ses couplets et ses refrains, ramenant toujours les deux protagonistes à ce qui les lie : l’amour.


D’abord contrariés par les années qui les séparent, Alana et Gary doivent composer avec leurs propres aspirations pour ne pas éteindre cette flamme qui vacille à diverses reprises. Très sûr de lui, séducteur et entreprenant pour son âge, Gary se montre très précoce dans la gestion d’affaires et cherche le succès, entre la participation à une série télé connue, la vente de matelas à eau ou la gestion d’une salle de flippers. Alana, elle, tient justement plus de l’adolescente en quête d’émancipation, et si elle aide d’abord Gary dans ses affaires, elle veut aussi changer le monde à sa manière, comme le montre sa participation à l’élection du nouveau maire de la ville. Pour illustrer cet amour en fuite, Paul Thomas Anderson articule son film comme une succession de chapitres jamais explicitement mentionnés, mais bien identifiables, à l’image de la rencontre entre Alana et Jack Holden (Sean Penn), vieille gloire d’Hollywood, ou celle avec Jon Peters (Bradley Cooper), hippie mégalo et richissime. Toutes ces rencontres et ces épisodes offrent à chacun des deux protagonistes l’occasion de découvrir autre chose, de toucher un idéal, jusqu’à retourner irrémédiablement à l’essentiel : retrouver l’autre.


Licorice Pizza présente très peu de temps morts, enchaînant avec fluidité ces sous-intrigues pour constituer un ensemble riche, entraînant et solaire. Cette atmosphère nostalgique, affectueuse et touchante qui émane du film n’est pas sans rappeler ce que Quentin Tarantino racontait déjà dans son Once Upon A Time… In Hollywood, rejoignant ce dernier dans l’importance de l’atmosphère dans l’appréciation du film et dans notre immersion, mais s’éloignant en choisissant une vision moins fantasmée, la démarche de « PTA » n’étant pas non plus la même. La naïveté, l’incertitude, la douceur et la chaleur que l’on discerne et que l’on ressent devant Licorice Pizza sont essentiels pour raconter l’amour, thème très cher au réalisateur, qui prouve ici encore une fois sa capacité à cerner l’indiscernable et à mettre des images sur cet étrange sentiment.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Vus en 2022 : On en reprendra bien un peu et Les meilleurs films de 2022

Créée

le 9 janv. 2022

Critique lue 121 fois

4 j'aime

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 121 fois

4

D'autres avis sur Licorice Pizza

Licorice Pizza
EricDebarnot
9

There Will Be Love

Nous ne sommes pas de grands fans du cinéma souvent lourd, emphatique, très calculé dans ses effets de Paul Thomas Anderson, à notre avis un disciple surdoué de Scorsese ayant trop souvent basculé du...

le 6 janv. 2022

162 j'aime

7

Licorice Pizza
Contrastes
4

Empty seventies

On pourrait tout envier aux années 70 : la société de consommation semblait encore parée de quelques bonnes intentions, la sexualité enfin débridée, et l’engagement humaniste s’imposait comme une...

le 8 janv. 2022

101 j'aime

14

Licorice Pizza
venusinfinitesimale
5

Un film qui ne tient pas toutes ses promesses

Après le sublime "Phantom Thread" dans lequel il filmait avec brio et une élégance appliquée magnifiant des acteurs au sommet de leur talent un Pygmalion styliste de mode et sa muse, Paul Thomas...

le 5 janv. 2022

63 j'aime

7

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

74 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

42 j'aime

5