"Les Vitelloni" est vraiment dans la lignée des deux premiers films de Fellini, plein d'entrain, de musicalité, de vivacité, d'humour, de rythme.

Mais ici, Fellini s'envole réellement, il a poussé tous ses curseurs au maximum et c'est un régal hallucinant de maîtrise. D'ailleurs dans ma critique de "Huit et demi", ayant été assez déçu par le film, je n'avais pas vraiment insisté sur la qualité de la mise en scène, alors qu'elle était assez impressionnante de virtuosité...

Je veux dire, qui est capable avec une telle élégance, une telle précision de manier des caméras en harmonie totale avec ces tonnes de personnages, et ces décors foisonnants qui jaillissent de tous les côtés ?
J'ai franchement pratiquement jamais vu un truc pareil, y a que Fellini pour arriver à ce niveau-là à mon avis...

Et là, on est en 1953, c'est un troisième film, après une coréalisation (Les feux du music-hall, film très charmant que je vous recommande), et un vrai premier film (Le Cheik blanc, avec un Alberto Sordi hilarant), Fellini a 33 ans, et c'est juste stupéfiant de modernité, ce dynamisme fou, ce rythme, ça enchaîne, ça vit, c'est un enchantement..

Les Vitelloni, c'est à la fois tout simple, et complexe, il s'agit de raconter sur 1h40 les aventures d'une bande de potes trentenaires dans la station balnéaire de Rimini, c'est extrêmement autobiographique, c'est-à dire que l'on sent que ces aventures-là elles ont été vécues, et on sent également une tendresse infinie pour tous ces personnages un peu losers, mais tellement attachants... Au contraire d'un Casanova et de sa société bourgeoise de parvenus, que Fellini méprise, et qu'il a ridiculisés bien plus tard dans un film sidérant qui est dans mon top 10.

Fausto, le personnage le plus mis en avant, est justement le Casanova des ringards, il drague tout ce qui bouge (et un déluge de scènes hilarantes, géniales et ultra immersives, dont l'une au cinéma notamment, avec la meilleur scène de "pieds" que j'ai vue), interprété avec malice par Franco Fabrizi.

Leopoldo, interprété par Leopoldo Trieste, déjà le héros du précédent film de Fellini "Le Cheik Blanc", qui nous refait un festival de gros yeux, et qui est un apprenti-artiste rêvant d'être un grand auteur de pièces de théâtres, mais qui va aller de désillusion en désillusion...

Alberto, joué par Alberto Sordi, énorme acteur, légendaire, Jim Carreysque, il n'a même pas besoin de dire un mot pour faire rire, il a toujours le bon mot qui fait mouche, il clash à gogo, mais dans le fond c'est un faux-heureux renfermant des blessures intimes.

Riccardo, joué par le frère de Fellini, totalement inutile, mais aussi totalement sosie de Fellini réalisateur, ce qui est assez troublant.

Et Moraldo, joué par Franco Interlenghi, qui est le plus discret, le plus timide, le plus romantique, et vraisemblablement l'alter ego de Fellini.

Et l'autre talent évident de Fellini, c'est cette capacité (incroyablement difficile à avoir) qu'il a de faire vivre des groupes complexes de personnages, et de créer une alchimie qui saute à la figure, avec un équilibre parfait. C'était déjà le cas dans Amarcord qui ressemble beaucoup à les vitelloni, finalement, c'est un peu la même chose, mais avec la touche surréaliste/délirante en plus. Il arrive à développer subtilement tous les personnages du groupe, à véritablement les faire exister à l'écran, sans qu'ils ne paraissent anecdotiques ou inutiles.

Ensuite, il a une autre force, c'est qu'il peut traiter de questions hyper dramatiques, avec une légèreté, un humour absolument ravageur qui vient tout désamorcer, ce qui fait que son film n'est jamais anxiogène, mais toujours léger.
On est très loin du néoréalisme à mon sens, ça n'a rien de dépressif, et pourtant ça respire le vrai.

Le problème des héros du film est assez universel, ce sont de grands enfants trentenaires, totalement irresponsables, qui font conneries sur conneries, qui doivent grandir, et qui aspirent, sans le dire directement, à voler de leurs propres ailes en quittant leur ville. Mais ils n'y arrivent pas, ils sont désespérément bloqués, coincés dans cette prison à ciel ouvert, et le seul refuge, c'est ce carnaval démentiel qui se déroule tous les ans et qui se termine avec la classique gueule de bois "Hey merde on est reparti pour un an de galère", et une vraie mélancolie touchante.
(là aussi la spéciale Fellini, c'est de rythmer son film avec les différentes saisons de l'année, ce qui est juste d'une classe absolue).

Et il y a ce final assez bouleversant (après 10 minutes très prenantes et inquiétantes), où l'un des héros, l'alter ego de Fellini, le rêveur décide au petit matin, de prendre le train et de quitter une bonne fois pour toute sa ville, pour aller quelque part, n'importe où.
Derrière lui, à mesure que le train quitte la gare, il laisse tous ses amis (qui sont faits pour vivre là de toute manière), et la mise en scène est incroyablement prenante :
Le train part, plan de coupe, la caméra s'éloigne des chambres de ses amis dormant dans leurs lits respectifs, comme s'il s'agissait du point de vue du personnage depuis son train, et c'est juste beau.

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le 24 juil. 2013

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KingRabbit

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