Dès les premières images, l'influence de John Ford saute aux yeux. Certes, on se situe dans l'empire austro-hongrois, dans les années 1860, et les soldats portent des casques à plumes (encore que beaucoup portent des casquettes), mais ce petit fort perdu au milieu de la steppe à côté d'une ferme réquisitionnée, il fleure bon la cavalerie de She wore a yellow ribbon.
Sans l'optimisme fordien, cela va de soi. Le camp du film est un camp de prisonniers, confinés dans des cagibis, car parmi eux se trouvent d'anciens paysans révoltés qui appartenaient à la troupe d'un certain Sandor. Le problème de l'armée est de faire le tri et d'identifier les rebelles. Pour cela, ils promettent à un paysan impliqué dans des affaires de meurtres de le grâcier s'il donne des noms. Un peu comme dans Rouges et blancs, le problème est d'identifier l'ennemi à partir de témoignages contradictoires. Le récit est vu du point de vue des autorités.
Si le fameux Sandor n'arrive pas à être identifié, on finit par promettre aux anciens une nouvelle place dans l'armée. Mais c'est un piège : la dernière séquence montre l'officier lire le décret d'amnistie de Sandor... et lui seul. Tous ses anciens comparses sont encapuchonnés, en attendant d'être exécutés.
La mise en scène de Jancso repose ici moins sur du plan-séquence que sur de très beaux plans larges qui alternent avec des plans moyens ou des gros plans sur les visages des suspects. L'intérieur du camp, avec cette double-porte en bois qui s'ouvre sur l'infini de la steppe, les belles parades équestres ou plans larges avec des silhouettes noires de soldats qui se détachent, tout cela est sublime d'un point de vue formel. Le propos, derrière l'apparence de vie quotidienne, est très sombre, et l'on se demande si derrière l'empire austro-hongrois, ce n'est pas aussi le goulag soviétique qui est mis en question.
Un film superbe de Jancso, le plus fordien que j'aie pu voir jusqu'à présent. Si l'action ne donnait pas l'impression d'avancer, je n'ai pas vu passer le temps.
Vu au Reflet Médicis.