Les Sans-Dents est le quatrième long métrage de Pascal Rabaté qui est aussi auteur et dessinateur de BD. Un film sur le quart monde très inspiré du cinéma italien ( Affreux Sales Méchants en particulier) que le réalisateur voulait avant toutes choses poétique et amusant, bien plus en tout cas que misérabiliste et militant. Pascal Rabaté va connaître toutes les difficultés du monde à financer son film du fait de ses partis pris très radicaux comme l'absence de dialogues, de morale et de musiques, mais aussi de par l'essence même de son sujet. Sans grande surprise le film sorti en mars 2022 ne rencontrera pas son public d'autant plus qu'il se retrouvera torpillé par la critique visiblement passée complètement à coté du film. Certes le film est particulier et imparfait mais cette proposition de cinéma mérite à mon sens d'être défendue.


Les Sans-Dents c'est l'histoire d'une tribu de laissés pour compte qui vivent dans une immense décharge dans laquelle ils bricolent avec les déchets et des objets de récupération un semblant de micro société. Vivant de menus larcins comme le vol de cuivre qu'ils font fondre pour l'échanger contre des objets dont ils n'ont même pas l'utilité, cette bande d’oubliés du système se retrouve bientôt traquée par un inspecteur de police.


Un temps prévu pour s'intituler Les Sans Voix, Les Sans Dents prend donc le parti de proposer un film sans le moindre dialogue (simplement 4 mots seront prononcés durant le film). Pascal Rabaté souhaitait symboliquement réunir dans cette communauté précaires, sans domiciles, migrants et vagabonds qui sans avoir la même langue parlent tous le même langage , celui de la pauvreté. Le film est donc rythmé par des grognements, des souffles, des soupirs, des râles, des murmures incompréhensibles, des borborygmes et beaucoup de rires. Le film est très déconcertant dans un premier temps, presque agaçant même, mais il finira par insidieusement par imposer sa propre musique pour celles et ceux qui n'en sortiront pas totalement. L'autre aspect un peu radical et déconcertant du film reste que malgré l'ancrage très politique et social de son sujet, Pascal Rabaté ne voulait pas de grand message ni de morale prédigérée à donner aux spectateurs, comme si sa proposition de cinéma se suffisait en elle même. Une proposition a double tranchant puisque certains spectateurs n'y ont vu qu'une caricature misérabiliste des pauvres montrés ici comme une tribu préhistorique des voleurs crasseux et quasi analphabètes à cause de leur absence de langage. Pourtant le film montre surtout une communauté de gens mis à l'écart, qui symboliquement vivent parmi les déchets de nos sociétés consuméristes et qui se réinvente dans une joyeuse tribu bordélique et solidaire. Loin de tout misérabilisme, Les Sans-Dents joue à fond la carte d'un humour qui s'en va souvent joyeusement flirter jusqu'à l'absurde le plus total et la dérision poétique. Étrange, déconcertante, sans compromis cette proposition de cinéma laissera plus d'un spectateur sur la touche mais finira par imposer sa propre émotion lors d'une scène de transe collective au son d'une mélodie techno rythmée par une bétonnière brassant des objets dont les chocs donnent le tempo dérisoire. Les personnages affreux, sales et pas bien méchants prennent d'un coup une vraie dimension dramatique et émotionnelle qui font que Pascal Rabaté aura pleinement réussit son pari, porter un regard empli d'humanité et de compassion qui va au delà des apparences sur tous ces gens que l'on a repoussés aux limites de nos sociétés et que l'on a jeté dans le vide ordure des nos vie confortables. Au final cette tribu deviendra des plus attachante tant leur humanité et leur solidarité parviendra à nous toucher.


Les Sans-Dents s'appuie sur un formidable casting avec un véritable univers et une vraie cohérence puisque l'on y retrouve à la fois un peu du Groland, un peu des Deschiens et forcément beaucoup de Pascal Rabaté. Les deux patriarches de cette tribu qui pourtant n'a pas de véritable hiérarchie sont interprété par Gustave kervern et Yolande Moreau et autour d'eux gravitent des personnages haut en douleurs interprétés par Charles Schneider, David Salles, Vincent Martin ou Phillippe Rigot. On retrouve également François Morel en inspecteur de police rigide avec une touillette à café en plastique éternellement vissée à la bouche. Cette troupe de comédiens et comédiennes incarnent des personnages avec des vrais trognes de cinéma qui n'existent souvent que par leur langage corporel et une émotion qui doit se passer du moindre mot pour s'exprimer. La mise en scène de Pascal Rabaté est assez brut de décoffrage collant à l'aspect un peu rugueux des personnages mais elle nous offre aussi de jolis moments de poésie avec un immense canard jaune gonflé à l'hélium, une poupée gonflable dont la transparence nous révélera la maternité ou ces maisons en construction avec uniquement la plomberie et les sanitaires suspendus dans le vide.


Les Sans-Dents est un film profondément social mais qui a l’élégance de ne jamais être moralisateur ni didactique pour n'être au final qu'un très singulier et attachant objet cinématographique. Malgré son titre le film ne manque pas de mordant et malgré son parti pris de n'avoir aucun dialogue le film est loin de n'avoir rien à dire, preuve que les apparences sont trompeuses et qu'il faut parfois faire l'effort d'aller au delà pour dénicher l'himanité sous des aspects à priori un peu repoussants.

freddyK
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le 21 août 2022

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