La curiosité principale de ce film noir est le parti pris de montrer des personnages masculins uniquement négatifs, y compris le personnage du justicier Nishi incarné par Toshiro Mifune. Méconnaissable derrière ses lunettes, égaré dans sa quête illusoire de vengeance, il a basculé dans le camp des salauds, même s'il ne passe pas des nuits vraiment tranquilles.


Les dirigeants de la grande entreprise sont des délinquants en cols blancs et incarnent chacun un archétype de la corruption. Le numéro 3 incarne la lâcheté: il sera condamné à un châtiment en rapport avec son vice: il sera terrorisé chaque nuit par les apparitions d'un fantôme. Le numéro 2 incarne la cupidité: il sera soumis à l'épreuve de la famine lors de sa détention. Le cas du numéro 1, qui n'est d'ailleurs lui-même qu'un directeur adjoint, est plus complexe. Il incarne la respectabilité, justifie à lui seul le titre du film et véhicule le fond de la pensée de Kurosawa. Les pires voyous évoluant dans les hautes sphères ne sont jamais inquiétés et peuvent continuer leurs méfaits en toute impunité. Pour l'anecdote, et pour couper court à toute interprétation marxiste, le fonctionnaire subalterne qui fait preuve de modération n'est pas mieux traité que ses supérieurs. Il n'est pas plus humain, car «un fonctionnaire par nature est inhumain», lâche l'auteur non sans un un clin d’œil.


Il y a cependant quelqu'un qui échappe à cette société victime du mal inguérissable. C'est le personnage de la mariée qui représente tout à la fois la fois la pureté, à l'image de sa tenue immaculée, la compassion, l'amour filial, l'amour conjugal, la douceur et en fin de compte l'humanité. Ses apparitions trop courtes jouent le rôle de contrepoint à la noirceur générale.


Le mal triomphera sans surprise à la fin, comme l'annonçait le titre d'une façon suffisamment explicite. Et le spectateur ressortira empreint de frustration et de résignation, ce qui est le propre du film noir. Mais en dépit de son austérité et de sa froideur, il faut reconnaître que grâce aux qualités le la mise en scène, cette oeuvre dépasse beaucoup de standards américains du film noir, pourtant plus connus du grand public.

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le 3 févr. 2017

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Zolo31

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