Bien que je pense que peu s'en rendent compte, il se passe quelque chose de très important en ce moment en France. Vous vous méprenez si vous pensez que je parle des élections départementales ; je fais allusion aux Portes du soleil, un film d'un réalisateur français, aux aspects de production Asylum, comportant dans son cast Lorie, Smaïn et Mike Tyson,... et qui se retrouve projeté en salles. Certes, il ne passe plus que dans deux salles en région parisienne lors de sa seconde semaine d'exploitation, mais tout de même, on vit quelque chose d'exceptionnel.
Soit le producteur a de bons contacts, soit il a beaucoup de fric à dépenser, soit c'est la caution "film politique sur l'Algérie" qui a joué, mais Les portes du soleil a eu droit à une campagne d'affiches dans le métro, et même une avant-première au Grand Rex. C’était en présence de l’équipe du film, mais je ne crois pas que ça ait attiré grand monde. Il y aurait eu l’ambassadeur d’Algérie dans la salle ; j’espère qu’ils ont filmé ça, et que ça se sera présenté en bonus sur le DVD, si oui, j’achète.
En effet, je ne me suis pas rendu à cette séance spéciale, pour la simple raison que je ne pensais pas pouvoir embarquer quiconque avec moi. Mais au final, deux comparses amateurs de nanars ont su comprendre qu’on vivrait un moment historique en allant voir ce film en salles, hier soir, à la seule séance de la journée.
Car combien de fois dans une vie a-t-on l’occasion de voir sur grand écran ce qui, rien qu’à la bande-annonce, se présentait comme un nanar de grande envergure ?


Nous n’étions que 22 dans la salle, mais nous avions imaginé moins. Certains semblent être venus prêts à prendre le film au premier degré, notamment un groupe derrière nous ayant l’air d’origine algérienne. Probablement n’ont-ils pas vu la bande-annonce et ont été seulement attirés ici par le sous-titre du film : "Algérie pour toujours". Ils ne sont pas restés jusqu’au bout.
Les portes du soleil ne nous ménage pas, dès les premières minutes, il nous montre à quoi s’attendre. D’ailleurs, la première séquence étant, dans sa forme, plus violente que celles qui suivent, je me demande si ce n’est pas une sorte d’épreuve conçue pour tester le spectateur. Les plus faibles s’en vont, tandis que ceux qui ne pleurent pas du sang restent dans la salle. Jean-Marc Minéo nous gave de plans qui s’enchaînent sans qu’aucun ne dure plus d’une seconde, de zooms et dézooms à gogo, de ralentis et d’accélérés injustifiés, d’effets stroboscopiques, … à chaque fois accompagnés de bruitages qui enfoncent le clou.
Le plaisir procuré par ces fautes de goût était pour moi décuplé par le fait de voir ça au cinéma, et j’ai régulièrement poussé de légers râles d’admiration, qui ressemblaient probablement au souffle qu’on lâche lorsqu’on reçoit un coup de poing dans le ventre.
Oui, Les portes du soleil est un film coup de poing. Enfin, en fin de compte, plutôt un coup de poing asséné en plein sur le crâne.


Les dialogues et punchlines grotesques sont du niveau des pires séries B de Seagal ("je vais revenir faire de la mécanique avec ta gueule", "je suis trop vieux pour devenir PD"), le surjeu et l’intonation ringarde des acteurs fait penser à celle des doublages de direct-to-vhs dans les années 80… Et d’ailleurs, une bonne partie du film est effectivement doublée ! On peut le voir dans une des bandes-annonces, si certains acteurs parlent français à la base, la plupart parlent en arabe, et tous ont été doublés, à mon avis par les mêmes comédiens qui s’occupent du doublage de telenovelas. Pour tout dire, il y a une scène où il a suffi qu’un acteur dise "ouais !" pour qu’on éclate de rire.
Je crois que le montage essaye de masquer la post-synchro autant que possible, soit en ne montrant que partiellement la personne qui parle, soit en changeant tellement souvent de caméra qu’on n’arrive plus à suivre le mouvement des lèvres des personnages. Mais il se peut aussi que ce soit simplement le style qu’ait choisi Jean-Marc Minéo.
Même les séquences relativement calmes sont chargées de coupes de partout. Le réalisateur a dû vouloir à ce qu’il n’y ait aucun temps mort, aucun moment d’ennui. Et pour lui, ça veut dire changer d’angle de caméra sans arrêt, et rajouter une tonne d’effets.
Ça a l’avantage de rendre hilarants des plans ou des actions tout simples. Un plan de coupe sur un personnage immobile ? Ok, mais avec un travelling et un accéléré ! Pour quelque chose d’aussi banal qu’un personnage qui rentre dans une maison, je crois qu’il y a bien, littéralement, une dizaine de plans et presque autant d’effets.
Il y a aussi bien des effets classiques que des expérimentations visuelles hallucinantes de mauvais goût, et parfois, c’est des combos : un enchaînement de plans d’une demi-seconde, avec des fondus, et un effet de tremblement !
Des scènes qui ne devraient durer qu’une minute ou deux se retrouvent rallongées car elles sont affublées, en ouverture et en conclusion, d’un de ces montages musicaux remplis d’effets. Les personnages arrivent au ralenti, puis en accélérés, puis on a un montage alterné entre un personnage et un chat par exemple (véridique), etc, pour au final arriver à une scène qui ne contient que 3 répliques. Mais on dirait que Jean-Marc Minéo est incapable de faire autrement la transition entre une séquence et une autre.
On atteint des sommets avec la séquence chez le psy, plombées d'effets inutiles et saugrenus à chaque plan... Par exemple, Lorie qui est assise dans la salle d’attente, et que des flashs nous font apparaître en triple exemplaire dans un même plan…
Mais je crois que mon effet favori, c’est quand ce policier boit dans une tasse indiquant "Coffee", et que le texte clignote !
Vous vous en doutez sûrement, mais les scènes de combats et de poursuites sont incompréhensibles. Des plans chaotiques, montés n’importe comment.
Ces effets, ce montage… ça ne s’arrête jamais. Jamais. En dépit de tous les mauvais films que j’ai pu voir, je pense que c’est vraiment la première fois que je subis ça ; en général, ces montages à effets douteux, ça dure quelques minutes, le temps d’une transition, mais pas pendant tout le film !


Mais qu’en est-il de l’histoire ?
Le personnage principal, Jawed, joué par le producteur du film, correspond à l’archétype du héros au passé mystérieux ; il aurait fait des études de médecine mais sait se battre mieux que tous les autres. Jawed arrive en Algérie, se présente à une boîte de nuit, et se fait embaucher immédiatement comme plongeur. Etant donné les activités douteuses du club et de ses clients, j’aurais cru qu’ils auraient été plus méfiants pourtant. Les videurs de la boîte s’amusent à frapper les gens qu’ils refoulent tellement fort qu’ils s’envolent, et jouent à compter les points selon la distance à laquelle a atterri la victime. Et parmi les clients, il y a Slimane, un criminel important dans le coin, toujours accompagné d’une certaine Sanya, "une dingue".
A partir de là, rien n’est vraiment clair concernant les motivations des personnages et leurs objectifs. Le tout début du film évoquait l’OAS, une organisation aux activités terroristes qui, dans les années 60, défendait la présence française en Algérie. Je crois que Slimane en fait partie, mais je ne vois pas pourquoi ce proxénète/trafiquant d’armes serait affilié à cette organisation, ou pourquoi 50 ans plus tard il se reconnaîtrait dans leurs revendications.
Je pense que c’est surtout une excuse pour donner un semblant de propos politique au film, et pour justifier (très) vite fait les scènes de fusillades et de castagne.


Slimane est interprété par Smaïn, humoriste qui remplit son rôle et fait beaucoup rire, même si ici il est censé être un gangster impitoyable. Le voir essayer d’intimider un vieil homme avec une surenchère de menaces absurdes, c’est tout un show ! Il menace de prostituer la nièce du vieillard, tout en mimant ce qui va lui arriver !
Il y a quand même d’autres scènes où le film cherche à faire preuve d’humour, mais ça consiste en des blagues de gamins.
Sanya la psychopathe est jouée par Lorie, décrédibilisée dès sa première scène, par la façon dont elle tient ses flingues : les bras à l’horizontale mais les armes penchées vers le bas, comme si les toucher la répugnait un peu. Le personnage parle peu, mais on comprend pourquoi dès que l’actrice ouvre la bouche.
Minéo a tout de même chercher à explorer le personnage, en présentant son passé dans un flashback. Disons simplement que Les portes du soleil parvient à rendre très drôle une scène de viol.
L’affiche annonce aussi la présence de Mike Tyson. Le producteur et le réalisateur en sont tellement fiers qu’ils le mettent partout : en intro du film, à la fin d’une des bandes-annonces, et ce même si la qualité du son et de l’image est horrible.
Mais son apparition dans Les portes du soleil n’est au final qu’un cameo, quoiqu’un cameo meilleur que n’importe lequel de Stan Lee. Il sort de nulle part, joue les justiciers façon Chuck Norris, on répète 5 fois que, hey, "c’est le vrai Tyson !", il fait mention de la promo de son bouquin, et puis s’en va.


La vision des Portes du soleil a été réellement éprouvante. On ne nous laisse aucun moment pour respirer, pour se calmer. Mais évidemment, je suis content d’avoir vu ça ; que dis-je, d’avoir vécu ça ! C’est un film qui se vit, en raison de toutes les sensations qu'il procure, et qu'on continue de vivre après qu'il soit fini. Car je sens que c'est le type de film dont je continuerai à parler longtemps après, comme pour un traumatisme... ou une expérience extraordinaire.

Fry3000
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le 30 mars 2015

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Wykydtron IV

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Les Portes du soleil
jimbomaniac
1

je mets 1 parce que le ridicule ici touche au sublime...........

en regardant l'affiche de ce film on croit d'abord rêver Le casting est si improbable qu'il déclenche inévitablement de la curiosité car non vous ne rêvez pas car au dessous du nom de l...

le 29 janv. 2017

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RENGER
1

Foirage intégral, dont le montage a été fait avec le cul & vaudra l’effet d’un viol visuel

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