Le roi du tracteur pas très clément envers ses loyaux employés.

Nous sommes en 1979 lorsque Les Petites Fugues est réalisé par Yves Yersin. Le contexte historique semble être simple à oublier mais cette année-là a été voté pour la première fois en Suisse le droit de vote de la femme dans certains cantons à commencer par celui du Jura ainsi que la mise en place de différentes centrales nucléaire.
Les Petites Fugues aura beau avoir un air poétique, il reste un film axé sur le patrimoine et l’émancipation.

Contrairement à ce qui devrait être fait selon un point de vue extérieur, une analyse cinématographique sur ce film ne doit pas se focaliser uniquement sur le personnage de Pipe (Michel Robin) mais sur tout ce qui l’entoure.

Nous pourrons commencer par parler de la poésie car c’est par ceci que débute le film. Comme inspiré par Invitation au Voyage de Baudelaire, le vélo-moteur de Pipe arrive par le train, complètement découvert, à la vue de tous. Il vient d’autres horizons que Pipe ne semble avoir jamais exploré. Plus tard, il l’emmène avec lui dans la forêt en pleine nature et le caresse comme il caresserait une femme, le sent comme il sentirait une femme. C’est la définition même du « Luxe, calme et volupté ».
Pourtant lorsque Pipe commence à se servir de son vélo-moteur, il semble n’avoir que 8 ans et apprendre à faire du vélo. Mais c’est par ceci que l’on peut dire que l’apprentissage de la vie vient à tout âge.

Ce que le fermier n’a pas compris puisqu’il reste dans ses idéaux et n’apprend pas de ce qui lui est offert, à commencer par une fille.
La ferme est une véritable micro-société. Complètement étanche à l’évolution du monde extérieur, le temps semble long et répétitif. On le remarque bien lors de la séquence très lente où le tracteur ramasse les bottes de paille au début du film, elle semble interminable.
Les femmes sont enfermées dans un monde qui n’est plus le leur, en dehors du village, elles s’émancipent, et ça, Josiane l’a compris.

Josiane évolue entre deux mondes. Celui qui lui est imposé par sa famille et celui vers lequel elle tend. Elle fait une mauvaise mère, écoute les grands tubes sur vinyle en sous-vêtements et ne va pas tous les jours au travail.
Lors des repas (généralement avec toute la famille), son père et son frère la regardent de manière pesante accentuée par le champ-contrechamp sans amorce particulière et de très loin afin de marquer l’éloignement entre eux au niveau relationnel. Et tout peut rapidement partir en vrille quand il lui arrive de donner son avis, ce qu’une femme ne peut pas se permettre de faire.
Josiane a besoin de sa famille mais aussi de se détacher de tous ces dogmes qui lui sont imposés. Elle sait aussi qu’elle a fait une erreur vis-à-vis de son fils en l’ayant trop tôt et sans qu’il n’ait de père existant à ses yeux. C’est pour ceci qu’elle n’a de cesse de repousser les maladroites et quasi-vulgaires avances de Luigi.

Lorsqu’elle fini par céder, on se rend compte qu’elle s’est attachée à lui mais elle est libre de le suivre ou non. C’est un renouvellement de situation qu’elle semble avoir déjà vécu mais qui pour autant est bien plus légère à la fin.

Il n’y a qu’une fois,où l’on se focalise sur le personnage de Rose : lorsqu’elle évoque son rêve. Le contrechamp est inexistant afin que l’on se concentre réellement sur le personnage. C’est un personnage qui vit dans la peur, elle a peur que tout autour d’elle s’effondre et c’est pour ceci qu’elle n’a jamais réussi à faire valoir sa personne. Elle est toujours au service de tous, à faire le thé, le repas et le ménage mais jamais elle ne va avoir un avis rien qu’à elle et non tout droit sorti de la bouche de son mari.

Les Petites Fugues est un film tout aussi poétique de philosophique. C’est un film sur le désir de liberté, sa recherche et son avènement.
Il commence par l’arrivée impromptue de ce planeur sifflant la mélodie de la liberté portée par le vent symbolisant le cours de la vie. Même en tant que simples spectateurs du film, nous avons envie de suivre ce planeur. Pipe n’hésite pas, enfourche son vélo-moteur et gravit la montagne pour hurler « Eh ! Ça va ? » sans recevoir de réponse particulière et fond en larmes parce que la liberté, c’est beau. Un magnifique plan général accompagne l’immensité de la liberté en montrant les fameuses montagnes suisses.
Cependant nous aurions pu dire que ce désir de liberté avait commencé lors de la scène de la pluie mais c’est simplement le point de départ où Pipe va réussir à conduire son engin pour voguer vers la liberté et où Josiane va se prendre au flirte avec Luigi. Tout commence par un imprévu car la vraie vie, pas celle toute tracée qui nous dit quoi faire, est constituée d’imprévus.

Pipe est fier de son vélo-moteur et l’exhibe aux yeux de tous. Mais il a envie d’aller plus loin, il rencontre du monde (ce à quoi il ne semble pas vraiment avoir été confronté au cours de sa vie, ou du moins pas depuis bien longtemps). On remarque que, plus le film avance, plus il se sociabilise et discute, même au sein de la ferme.

Lors de la course de motocross, il est drôle de voir comme le circuit semble n’avoir aucune réelle perspective, le parcours semble impossible alors les pilotes sont vus comme des génies de la conduite. Malgré tout, il peuvent avoir l’illusion de liberté totale alors qu’ils sont retenus par les limites du terrain.
Tout semble aller à merveille pour le personnage de Pipe durant cet évènement. Jusqu’au moment où il touche à l’alcool. L’alcool qui fait perdre bien plus raison que le désir de liberté, qui donne bien plus d’illusion. Pipe n’as plus le sens de la civilisation et a perdu toutes ses limites. Il se met à danser avec tous les autres (sans qu’ils ne soient vraiment présent par ailleurs) comme le paroxysme de la liberté malgré son âge et son état.
Mais comme après toute bonne cuite, il y a retour à la liberté. Il arrive dans un voiture de police toujours dans le carde de la caméra, on ne cherche pas à découvrir le monde autour et une fois arrêtée, Pipe sort et personne ne s’en soucis réellement.C’est là que Pipe se rend compte qu’il met en péril certaines situation comme le financement de ferme, la solidité de la famille de fermier et même le poste de Luigi.
Il part seul, toujours au milieu de la nature mais cette fois-ci bien plus dégagée, détruire son vélo-moteur. Car avec tout ceci, il s’est rendu compte d’une chose : sans moyen d’oppression de la part d’autrui, il n’y a plus de liberté à rechercher.
Lorsqu’il accompli son dernier acte de recherche de liberté, dans cet hélicoptère, Pipe n’est plus vraiment impressionné par l’horizon car, avec ses photos il est devenu minimaliste. C’est aussi un marque de désillusion appuyée lorsqu’il dit « Y a que des cailloux. ».

Pour finir cette analyse il serait bon de parler du patrimoine car ce film est en grande partie composé de cela. Entre ces immenses montagnes dont on montre des plans très larges, l’usine de chocolat et le rapport à la banque récurrent, le patrimoine est le fond même du film.
Il peut être aussi lié à la recherche de liberté et à l’émancipation de la femme pas une simple séquence qui est celle du partage de chocolat.
Josiane est huée sans raison, toute la famille sort de table sauf les désireux de liberté qui sortent un jeu de carte afin de jouer, boire et chanter. Rien ne les retient, ils font ce que bon leur semble autour de traditions suisses.

Pour conclure, on peut dire que Les Petites Fugues est un film minimaliste, poétique et dans un certain sens engagé mais malheureusement sans trop de recherche technique. Les plans ne transmettent pas assez le sens de l'histoire et la composition est parfois trop peu travaillée.

Zubenelgenubi
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le 15 nov. 2018

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