Critique rédigée en décembre 2016


Les Parapluies de Cherbourg. Rien ne me prédestinait à obtenir une telle vision de l'art cinématographique avec ce film.
Celui qui m'y a réellement initié et qui m'a démontré ce qu'était un travail propre, une innovante création artistique, un poème en prose filmique. Effectivement, on a rarement réalisé un film entièrement chanté et qui puisse aussi magistralement faire rire qu'émouvoir. Ainsi, je vais effectuer un petit retour sur ce film qui, malgré plus d'une vingtaine de visionnages et d'écoutes, continue à me chambouler, voire presque me faire pleurer.


L'histoire prend place en 1957, deux jeunes amants, Guy, garagiste, et Geneviève, s'aiment passionnément, et rien sur Terre ne peut les séparer. Cependant, la mère veuve de Geneviève, Mme Emery, voit d'un mauvais oeil cet amour qu'elle juge trop sommaire, et surtout à cette idée de mariage. Toute préparation s'interrompt le jour ou Guy reçoit une feuille de route, réclamant son régiment en Algérie, durant la guerre pour une durée deux ans. Effondrée par l'absence de son amant mais persuadée de la possibilité de son retour, Geneviève se retrouve soumise aux charmes du jeune diamantaire Roland Cassard, un homme qu'elle ne désire pas tandis que sa mère tombe sous son charme. C'est l'occasion pour celle-ci d'essayer de faire oublier la relation qu'elle juge impossible entre sa fille et l'homme qu'elle aime, ainsi que pour régler ses problèmes d'argent puisque le magasin est surchargé d'impôts. Geneviève est ainsi exposer au dilemme, choisir entre garder fidélité à son passé ou tourner la page.


Les Parapluies de Cherbourg, comédie musicale culte et universelle mais aujourd'hui quelque peu ignorée, porte en elle un grand nombre de thèmes: on y parle de la famille à travers une relation mère/fils et surtout d'une relation amoureuse impossible entre deux jeunes gens, nous y retrouvons le thème de la guerre et ses conséquences... Et c'est surtout l'histoire d'une intense et tendre passion amoureuse, celle d'un couple qui s'aimait, se déchirait, se séparait, se retrouvait. Une sorte de réécriture moderne des oeuvres de Madame de Lafayette sur les désordres de la guerre mêlés aux affaires amoureux de jeunes personnages innocents, mais confrontés aux dures lois de la vie.


Ce qui est remarquable dans un premier temps, c'est la sobriété du film. Jacques Demy n'en rajoute pas des tonnes et ça a renforcé l'impact qu'a eu le film sur moi: le film réussit sincèrement à émouvoir, et, personnellement, jusqu'aux larmes. Nombre de mes plus beaux moments cinématographiques se retrouvent dans Les Parapluies: ce sont des petites scènes mais pourtant magnifiques, comme chez la tante de Guy, Elise ou même la scène à la station-service (précédant la scène finale du film). C'est tendre, beau et sobre.


"Je n'aime pas l'opéra, le ciné c'est mieux", et bam ! Dès la première séquence, Demy met en garde les spectateurs tentés de voir en ce film quelque chose d'autre que du cinéma, on s'attend donc d'emblée à un expérience singulière et qui marquera une profonde évolution dans ce genre cinématographique.


Ce film est une fourmilière à émotions, de moments marquants reflétant si habilement les contraintes auxquels on se retrouve tous exposés dans la vie. Nous sommes tous retenus par les mémoires et la place encombrante des obligations qui salissent notre bonheur.


Notamment, lors des passages dans lesquels Guy est confronté à son passé: lorsqu'il est de retour à Cherbourg et qu'il découvre que le magasin est fermé, c'est en quelque sorte comme si sa bien-aimée lui avait définitivement fermé l'accès à son coeur, donc le forçant à renoncer à son amour. Par la suite, les séquences du garage puis au café, suivies par la mort de sa tante Elise, vont les convaincre à faire une croix sur son passé pour se concentrer sur le présent.


On y ressent toute la nostalgie, toute la mélancolie qui enrobe le film. C'est un film qui nous fait réfléchir, sur la reconquête de soi, et des autres. A la fin, j'ai senti comme une volonté des deux personnages à faire la paix avec le passé sans lui courir après pour espérer y changer quelque chose.
Les Parapluies est aussi une oeuvre qui illustre parfaitement les relations humaines, leurs joies, leurs déceptions, leurs tristesses, leurs doutes.
Jacques Demy, également scénariste du film, dresse une véritable galerie de personnages ;
La mère de Geneviève est surprotectrice, et voit sa fille comme une enfant immature incapable de faire des choix. De plus, elle se sert de son mariage pour régler ses problèmes financiers, ce qui rappelle typiquement les ordres dynastiques du XVème siècle forçant deux jeunes gens ne se connaissant pas à cohabiter, et ce pour satisfaire de banales affaires d'argent.


Néanmoins, face aux prises de liberté de sa fille, le personnage va subir une lente évolution puisqu'elle constate que Geneviève ne peut chasser Guy de son esprit.


Geneviève sert de relecture des personnages de princesse qui ont agrémenté les romans historiques d'il y a plusieurs siècles, elle souhaite s'émanciper en tant que femme et devenir indépendante de sa mère et de tout ce qu'elle lui impose.
Guy, avant son départ en Algérie, est un personnage naïf, dynamique et assez enfantin. Son expérience en guerre d'Algérie va lui faire subir une profonde transformation ou son présent cohabite avec le passé ; tout ce qui a fait de lui un homme heureux à un temps va se changer en de douloureux souvenirs, faisant de lui une âme perdue et d'humeur taciturne.
Quant à Roland Cassard, on peut le percevoir comme un élément perturbateur et un sauveur, parce qu'il souhaite épouser Geneviève, dont il est tombé amoureux dès le premier regard, ce qui va provoquer des désordres dans sa vie sentimentale.


Enfin, visuellement Les Parapluies est une claque. Jacques Demy nous offre une mise en scène appliquée et une photographie somptueuse. C'est d'un coloré hypnotique qui se déroule au fin fond de la Normandie dans des paysages très typés années 1950 qui m'ont envoûté du début à la fin. Les couleurs sont vives et offrent une sensation conforme aux humeurs des personnages, nous voici donc embarqués en plein coeur de l'intrigue dès le début avec une valse de parapluies, séquence de générique.


Le film est court, l'histoire avant doucement, mais les 20 premières minutes sont quasiment joyeuses et c'est assez prenant. Je me suis identifié à ces personnages, je croyais à leur histoire pourtant assez classique, le papier et leur écriture étant juste remarquables.


Nino Castelnuovo (Rocco et ses frères) et Marc Michel (Le Trou de Becker, autre bijou français des années 60 à découvrir) effectue très certainement leur meilleure performance, deux qui étaient plutôt habitués aux seconds rôles. Catherine Deneuve, alors âgée de 21 ans durant le tournage, est brillante, et mignonne sous l'apparence de cette adolescente touchante par ses nombreuses décisions qui aident l'histoire à avancer d'un cran (c'est par ailleurs ce rôle qui la prédestine à une brillante carrière). L'interprétation est globalement de haute qualité. Bien-sûr il y a les longues tirades du séducteur Roland Cassard, belles, confiantes et sobres.
Chaque séquence est accompagnée par un thème musical propre à chaque situation, à chaque personnage... Chaque nouvelle mélodie représente un progrès dans l'histoire, c'est pourquoi plusieurs visionnages du film sont nécessaires pour pleinement saisir le traitement de la bande originale et garder chaque morceau en mémoire.
Peut-être est-ce mon amour encore grandissant pour ce film qui pardonne l'aspect "kitsch" que lui reproche certains internautes. Il s'agit du film d'une époque, révolue certes, mais qu'on peut toujours identifier de nos jours.


Les Parapluies de Cherbourg, c'est aussi le film qui comporte la plus belle scène de dialogues, et la plus belle scène de retrouvailles que j'ai pu voir au cinéma. La séquence finale, accompagnée par la magnifique musique du maestro Michel Legrand ;


Elle présente juste deux personnages qui se recroisent, au pur hasard, qui se retrouvent face à leur vie passée.


Elle dure bien 5 minutes mais on ne peut décrocher une seule seconde. Les larmes me sont montées, cette scène est magnifique. A l'image du film d'ailleurs mais c'est à ce moment-là que j'ai pris une grande baffe émotionnelle.


Comme quoi il ne suffit pas de grand chose pour percuter l'âme. Les Parapluies de Cherbourg est un film artistiquement très accompli, un véritable tourbillon d'émotions impliquant des personnages tout aussi étonnants qu'attachants. Une oeuvre intensément poétique, un véritable miroir de notre état d'âme, un film qui aborde la vie et les rapports humains avec finesse et subtilité.
Puisque ce film, qui m'a touché de nombreuses fois en plein coeur et que je ne saurais trop recommander, est retrouvé en n°1 des "Films de ma vie".

Angeldelinfierno
10

Créée

le 18 déc. 2020

Critique lue 258 fois

4 j'aime

4 commentaires

Critique lue 258 fois

4
4

D'autres avis sur Les Parapluies de Cherbourg

Les Parapluies de Cherbourg
anne-la-girafe
9

Entièrement à Demy. Une déclaration plutôt qu'une critique.

A chaque fois c'est pareil. A chaque fois je sais qu'il ne faudrait pas, et pourtant je ne peux pas résister. J'ai encore regardé "Les parapluies de Cherbourg". Et j'ai été bouleversée. J'ai d'abord...

le 15 nov. 2010

83 j'aime

10

Les Parapluies de Cherbourg
CrèmeFuckingBrûlée
10

« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville »

Je me souviens. Mon premier contact avec les Parapluies de Cherbourg fut au travers d’un DVD posé sur une étagère chez mes grands-parents. Un jour, je leur ai simplement demandé si je pouvais...

le 29 janv. 2019

48 j'aime

11

Du même critique

Benedetta
Angeldelinfierno
9

Scatholicisme

Le daron le plus néerlandais du cinéma français voit sa prestigieuse fin de carrière suivre sa lancée avec cette très intrigante adaptation biographique de l'abbesse Benedetta Carlini (Virginie...

le 27 juil. 2021

37 j'aime

3

BAC Nord
Angeldelinfierno
9

Flics et voyous

Aisément considéré comme un des favoris du nouveau « cinéma vérité » français, le nouveau long-métrage de Cédric Jimenez, revenant après avoir joué les Friedkin avec son polar La French (2014), puis...

le 14 sept. 2021

35 j'aime

22